CINQUIEME PARTIE LA REPARATION A RAISON D’UNE DETENTION PROVISOIRE
En traitant désormais au titre du contrôle judiciaire et de la détention provisoire, dans les articles 149 et suivants du code de procédure pénale de la réparation à raison d’une détention, la loi du 15 juin 2000 (articles 70 et 71) telle que modifiée par celle du 30 décembre 2000 (articles 1 à 7) et complétée par un décret du 12 décembre 2000 (articles R-26 et suivants du code de procédure pénale) marque une étape importante de la détention provisoire injustifiée entendue comme la détention subie par une personne au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.
Si cette définition de la détention provisoire - jusque là qualifiée d’abusive - n’a pas varié depuis l’origine, à une possible indemnisation longtemps conditionnelle vient effet de succéder le droit à une réparation intégrale du préjudice causé par cette détention.
L’approche théorique de la notion de détention provisoire injustifiée dans les textes récents (1) peut être complétée par une première approche empirique de la réparation ainsi mise en oeuvre depuis leur entrée en vigueur (2).
1 - Approche théorique : l’évolution de la notion de détention provisoire injustifiée
Les lois des 15 juin et 30 décembre 2000 - en adoptant par rapport au droit antérieur une conception radicalement différente au fond de la nature de la détention provisoire injustifiée (1.1) - ont logiquement assorti sa réparation d’un nouveau régime juridique procédural (1.2).
1.1 - Différence de nature
Si l’innovation tenant à la réparation intégrale du préjudice subi à raison d’une détention provisoire injustifiée apparaît pour l’instant comme une exception française (1.1.1) le nouveau droit à réparation institué dans notre pays n’est pourtant ni exclusif ni absolu (1.1.2).
1.1.1 - La réparation intégrale du préjudice subi à raison d’une détention provisoire injustifiée : exception française ?
Le nouveau principe de réparation intégrale à raison d’une détention provisoire injustifiée semble à l’heure actuelle faire encore figure d’exception en Europe si l’on en juge d’après les données juridiques recueillies par la Commission sur la détention provisoire dans les pays de l’Union européenne (annexe 1).
Ainsi, il n’existe pas par exemple de mesures d’indemnisation ou de compensation de la détention provisoire en Angleterre et au Pays de Galles (Royaume-Uni).
Lorsqu’une possibilité d’indemnisation existe dans d’autres pays européens, elle apparaît le plus souvent plafonnée si bien qu’il s’agit plus d’une possibilité d’indemnisation sur le fondement d’un devoir de secours ou de solidarité que d’un véritable droit à réparation intégrale sur un fondement objectif.
Ainsi en Italie, si la loi Carotti de 1999 a amélioré l’indemnisation de la détention provisoire injuste introduite par le nouveau code de procédure pénale de 1988 en en facilitant l’accès et relevant le plafond, celle-ci donne toujours lieu à une réparation équitable (déterminée en fonction de la durée subie et des conséquences personnelles et familiales qui en sont dérivées) et plafonnée à un milliard de lires soit 516.000 euros.
En Allemagne, c’est un plafond d’indemnisation extrêmement bas qui s’applique. En effet, lorsqu’aucune condamnation n’est finalement prononcée lors du jugement au fond, la loi du 8 mars 1971 relative à « l’indemnisation du préjudice subi ensuite à l’exercice de l’action publique » prévoit certes en son article 2 le principe d’une indemnisation mais qui s’avère plafonnée par l’article 7 alinéa 3 à 11 euros par journée de détention entamée.
Aux Pays-bas, l’indemnisation peut prendre la forme de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice tant matériel que moral (article 89 du code de procédure pénale) que l’association des juges propose d’évaluer par jour de détention provisoire à une somme forfaitaire oscillant entre 50 et 100 euros par jour de détention. Elle peut aussi consister suivant l’article 90 alinéa 4 du code de procédure pénale en une réduction d’une peine prononcée à l’encontre de l’intéressé dans le cadre d’une autre affaire.
Si l’on écarte cette dernière forme de « réparation » de la détention provisoire injustifiée - totalement inconnue dans notre pays - pour s’en tenir à la seule réparation sous forme monétaire, on peut dire que tous ces autres pays de l’union européenne se trouvent encore à des stades de l’évolution du processus d’indemnisation que la France a historiquement connus pour les dépasser progressivement puis les abandonner complètement à partir de l’année 2000 en adoptant le nouveau principe fort différent de la réparation intégrale sur le fondement d’une responsabilité objective ou de plein droit.
Comme c’est toujours le cas aujourd’hui au Royaume-Uni, aucune indemnisation de la détention provisoire injustifiée n’existait en effet en France avant 1970 en l’absence de prévision d’un système législatif général.
Il a fallu attendre la loi du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens pour que soit instituée la possibilité d’accorder une indemnité à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une procédure de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive. Mais cette faculté d’indemnisation confiée à la « commission d’indemnisation des détentions provisoires », statuant par une décision non motivée rendue en chambre du conseil et insusceptible de recours, restait subordonnée à l’établissement par le demandeur d’un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité causé par la détention. Si bien que l’indemnisation provisoire injustifiée restait une faculté exceptionnelle soumise à des conditions drastiques permettant d’aboutir le cas échéant à une responsabilité de l’Etat sur le fondement d’un devoir de secours qui persiste à l’heure actuelle dans les pays européens connaissant une indemnisation plafonnée notamment lorsque le plafond retenu apparaît extrêmement faible [1].
Si la double condition tenant à l’anormalité manifeste et la gravité particulière du préjudice a été supprimée en France par la loi du 30 décembre 1996, l’indemnisation de la détention provisoire injustifiée a néanmoins continué à être pour le demandeur une simple possibilité.
C’est cette conception très restrictive de la détention provisoire injustifiée qui a été abandonnée par les lois de 2000. Selon le nouvel article 149 du code de procédure pénale qui en est issu, désormais : « ...la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Le dépôt d’une demande de réparation intégrale du préjudice causé apparaît donc subordonnée à deux conditions :
- Il faut d’abord que le requérant ait effectivement subi une mesure de détention ou d’incarcération provisoire. S’il n’y a pas lieu de distinguer à cet égard suivant le type de procédure dans le cadre de laquelle la détention provisoire, finalement injustifiée, a pu être initialement ordonnée à la suite du choix opéré par le parquet au moment de l’engagement des poursuites (procédure d’information judiciaire ou procédure ce comparution immédiate), cette première condition n’apparaît pas remplie en présence d’un simple contrôle judiciaire.
- Il faut ensuite que la procédure se soit terminée à l’égard de la personne par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, ce qui semble exclure cette fois l’hypothèse d’une condamnation partielle de l’intéressé à une quelconque peine d’emprisonnement ne recouvrant pas l’entière durée de la détention provisoire par lui subie qui relève alors de la recherche de la responsabilité de l’Etat sur un autre fondement [2].
Dans ce cadre, il résulte donc des principes nouveaux qu’une détention provisoire injustifiée cause un préjudice d’ordre moral et/ou matériel qui doit être intégralement réparé si le demandeur en fait la demande et qu’il appartient au juge compétent d’évaluer selon le droit commun de la responsabilité.
La détention provisoire injustifiée n’est plus un « accident » derrière lequel se profile un dysfonctionnement du service public de la justice ouvrant simplement la possibilité d’une indemnisation. Elle est devenue une notion à part entière autonome générant dès lors de façon non plus exceptionnelle mais automatique ou systématique un véritable droit à réparation intégrale du préjudice tant matériel que moral qui lui est inhérent. Ce droit à réparation de la détention provisoire injustifiée trouve alors son fondement :
- soit dans la nécessité de la « garantie sociale » [3] c’est-à-dire l’idée selon laquelle, même en l’absence de faute imputable à ses agents, la puissance publique doit supporter les conséquences du risque social créé par le fonctionnement du service de la justice, doit assurer la réparation d’un risque social créé par l’Etat, la détention provisoire, sans même qu’il y ait dysfonctionnement du service public,
- soit plus simplement dans la responsabilité sans faute de l’Etat conçue comme une responsabilité objective, de plein droit.
Il convient d’en préciser les caractères.
1.1.2 - Les caractères du droit à réparation intégrale du préjudice subi à raison d’une détention provisoire injustifiée
Le nouveau droit à réparation intégrale institué en matière de détention provisoire par les lois de 2000 n’apparaît :
- ni exclusif puisqu’il souffre la concurrence d’autres régimes de responsabilité pouvant également aboutir à une réparation ;
- ni absolu puisqu’il connaît trois exceptions néanmoins limitatives.
! Caractère non exclusif
C’est en effet « sans préjudice de l’application des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire » que « la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Le recours aux dispositions de l’article 149 et suivants du Code de procédure pénale n’exclut donc pas la mise en oeuvre de la responsabilité des magistrats à raison de leur faute personnelle dans le cas d’une détention provisoire injustifiée, prévue aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire.
Par ailleurs, la réparation d’une détention provisoire injustifiée peut également toujours être sollicitée par la mise en oeuvre de la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice en application de l’alinéa premier de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire. Le recours à cette dernière disposition, qui nécessite toutefois la démonstration d’une faute lourde ou d’un déni de justice, pourrait être envisagé dans les cas où le mécanisme des articles 149 et suivants du Code de procédure pénale ne trouverait pas à s’appliquer, notamment dans l’hypothèse où une personne ayant été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis aurait subi une détention provisoire dont la durée apparaîtrait excessive.
Les lois du 15 juin et 30 septembre 2000 ont donc assuré la coexistence du nouveau droit à réparation intégrale de la détention provisoire injustifiée avec des mécanismes de responsabilité plus anciens mais aussi plus restrictifs dans leurs conditions d’accès ou d’ouverture.
! Caractère non absolu
Le premier alinéa de l’article 149 du code de procédure pénale prévoit également trois cas d’exclusion de toute réparation ; ces exceptions au nouveau droit à réparation intégrale de la détention provisoire injustifiée apparaissant toutefois limitativement énumérées.
Les trois cas d’exclusion
« Aucune réparation » n’est due à raison de la détention provisoire lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive dont l’intéressé a pourtant bénéficié « a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l’article 122-1 du Code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou lorsque la personne a fait l’objet d’une détention provisoire pour s’être librement et volontairement accusée ou laissée accusée à tort en vue de faire échapper l’auteur des faits aux poursuites ».
Le premier cas d’exclusion réside donc dans la cause d’irresponsabilité pénale du demandeur à la réparation tirée de l’article 122-1 alinéa premier du code pénal selon lequel n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuro psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne demeure en revanche punissable aux termes de l’alinéa second en cas de simple altération de son discernement ou d’entrave du contrôle de ses actes au moment des faits si bien qu’elle peut être condamnée même si elle bénéficie alors d’une cause d’atténuation de sa responsabilité et que les conditions du droit à réparation de la détention provisoire ne sont pas en ce dernier cas remplies.
En sens inverse, on peut se demander si l’interprétation stricte des exceptions ne doit pas conduire à écarter ce premier cas d’exclusion et donc à admettre le droit à réparation de la détention provisoire lorsqu’il résulte de la décision que le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement a pu reposer sur plusieurs motifs et non sur le "seul fondement" de la cause d’irresponsabilité pénale précitée visé par l’article 149 du code procédure pénale.
Le même raisonnement vaudrait aussi dès lors pour les deux autres cas d’exclusion de la réparation de la détention :
- l’amnistie mais à condition qu’elle soit postérieure et non antérieure à la mise en détention provisoire ;
- la faute de la victime de la détention provisoire consistant à avoir voulu faire échapper l’auteur des faits aux poursuites en s’en accusant librement et volontairement ou en s’en laissant accuser à tort.
Une énumération limitative
De même qu’en tant qu’exceptions à la réparation les cas d’exclusion doivent relever d’une interprétation stricte ,le caractère limitatif de leur énumération par l’article 149 du code procédure pénale doit logiquement conduire au retour au principe de réparation intégrale dans tous les autres cas.
En cet état , même si ces trois cas d’exclusion - et notamment les deux derniers - ont pu faire l’objet de controverse voire de critiques, qui ne sont pas demeurées sans écho au sein de la Commission, il apparaît en tout état de cause que les deux caractères qui viennent d’être envisagés n’entament que faiblement l’autonomie et la généralité du nouveau droit à réparation de la détention provisoire injustifiée.
Dés lors, la « mutation » observée quant au fond sur la nature de la détention provisoire injustifiée devait logiquement entraîner une « mutation » du régime procédural de la réparation [4] la différence de nature impliquant une différence de régime.
1.2 - Différence de régime
Les lois du 15 juin et du 30 décembre 2000 en instituant un droit à réparation intégrale du préjudice subi par une détention provisoire injustifiée ont parallèlement mis en place un régime juridique procédural très différent du dispositif antérieur, plus conforme aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme et ce depuis la tenue des débats jusqu’au paiement effectif de la réparation allouée.
La procédure de réparation est ainsi devenue contradictoire et publique, le demandeur pouvant solliciter l’évaluation de son préjudice par expertise (article 149 du code de procédure pénale). Dans un souci d’effectivité du droit du bénéficiaire la réparation allouée est mise à la charge de l’Etat (article 150 du code de procédure pénale) et payée comme frais de justice criminelle sauf le recours de celui-ci contre le dénonciateur de mauvaise foi ou le faux témoin dont la faute aurait provoqué la détention provisoire ou sa prolongation.
Le trait le plus notable du nouveau régime procédural est certainement l’instauration d’un double degré de juridiction : l’examen du recours contre les décisions des premiers présidents des cours d ‘appel auquel le contentieux est désormais confié au premier degré (1.2.1) étant confié à la commission nationale de réparation des détentions, juridiction du second degré (1.2.2).
1.2.1 - Le contentieux de la réparation confié au premier degré aux premiers présidents des cours d’appel
L’article 149-1 du code de procédure pénale donne désormais compétence au premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement pour allouer la réparation de la détention provisoire.
Il doit être saisi par voie de requête dans le délai de 6 mois de cette décision devenue définitive (article 149-2 du code de procédure pénale).
Afin d’assurer la garantie de cette possibilité de saisine dans ledit délai ,tout requérant potentiel doit être avisé de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa) lorsque la décision de nonlieu, de relaxe ou d’acquittement lui est notifiée (article 149 dernier alinéa). A défaut, le délai de 6 mois ne court pas (article R.26 du code de procédure pénale). Par ce formalisme informatif, toutes les personnes concernées par la détention provisoire injustifiée - dont le nombre exact est toutefois difficile pour ne pas dire impossible à connaître à l’heure actuelle - devraient être en mesure de déposer une requête en réparation devant la juridiction adéquate. Un certain nombre de demandes étant néanmoins formulées directement par lettre auprès du Garde des sceaux, le ministère de la Justice a élaboré un courrier type rappelant à l’intéressé les dispositions applicables et l’invitant à saisir dans le délai requis la juridiction compétente, parallèlement avisée par courrier distinct à seul titre d’information par l’intermédiaire du parquet général de la cour d’appel concernée.
Deux décrets des 12 décembre 2000 et 31 juillet 2001 sont venus préciser dans les articles R.26 à R.40-3 la procédure suivie devant le premier président de la cour d’appel lorsqu’une requête en réparation est effectivement déposée.
La décision du premier président doit être rendue en audience publique ( article R.38), motivée (article 149-2) et bénéficie de plein droit de l’exécution provisoire lorsqu’elle accorde une réparation (article R.40). Sa notification doit indiquer qu’elle peut faire l’objet d’un recours devant la nouvelle Commission nationale « de réparation des détentions ». Statuant comme le premier président en tant que juridiction civile (article 149-4), elle joue donc le rôle de juridiction d’appel des décisions rendues par celui-ci ; ses propres décisions n’étant en revanche susceptibles d’aucun recours de quelque nature que ce soit.
1.2.2 - Le recours exercé devant la Commission nationale de réparation des détentions ,juridiction du second degré
En vertu de l’article 149-3 du code procédure pénale, les décisions prises par le premier président de la cour d’appel peuvent, dans les 10 jours de leur notification, faire l’objet d’un recours devant la Commission de réparation des détentions placée auprès de la Cour de cassation.
L’article R.40-3 ouvre cette possibilité de recours à trois catégories de personnes : au demandeur ,auteur de la requête en réparation de la détention provisoire injustifiée, à l’agent judiciaire du Trésor, autre partie à la procédure, et au procureur général prés la cour d’appel concernée.
Les décrets des 12 décembre 2000 et 31 juillet 2001 sont également venus préciser dans les articles R.40-4 et suivants les modalités de ce recours et la procédure suivie devant la commission nationale dont la décision, rendue en audience publique, doit pareillement être motivée.
L’entrée en vigueur du nouveau régime juridique procédural ayant été différée par l’article 71 de la loi du 15 juin 2000 six mois après la publication de cette dernière, soit en pratique courant décembre 2000, l’examen des décisions rendues tant par les premiers présidents de cour d’appel à partir de 2001 que par la commission nationale à partir de 2002 permet d’avoir une première approche empirique de la réparation de la détention provisoire injustifiée ainsi mise en oeuvre.
2 - Approche empirique : la mise en oeuvre de la réparation
Il n’a pas été possible à la commission de suivi de la détention provisoire, pour des raisons matérielles, d’établir dans son premier rapport annuel une synthèse qui prenne en compte la totalité des décisions rendues en matière de réparation.
L’explication essentielle tient, en l’état du double degré de juridiction précité, à la mise en place progressive au cours de l’année écoulée d’un double mécanisme de transmission de l’ensemble des décisions rendues tant par les premiers présidents de cours d’appel que par la commission nationale de réparation des détentions.
S’agissant des premières, par dépêche en date du 10 septembre 2002, la direction des affaires criminelles et des grâces a demandé aux procureurs généraux de lui transmettre copies des décisions rendues au cours de l’année 2001 et du premier semestre 2002. Les décisions, par ailleurs recensées dans une enquête de la direction lors de l’établissement du rapport annuel de politique pénale au Garde des Sceaux, ont été transmises dans leur grande majorité. Par contre, les envois qui devaient survenir au second semestre 2002 ont été beaucoup plus irréguliers (graphique p.80).
La comparaison du nombre de décisions communiquées rendues par les premiers présidents en 2001 et au cours du premier semestre 2002 montre une augmentation sensible (quasi-doublement du nombre de décisions rendues communiquées sur une période deux fois plus courte) qui n’est guère surprenante au regard de la mise en place progressive du nouveau dispositif procédural à partir de 2001.
La comparaison des premier et second trimestres 2002 illustre quant à elle, en l’état, une disproportion notable qui peut tenir soit au caractère très vraisemblablement encore incomplet de la communication des décisions rendues au cours du second semestre compte tenu des nécessaires délais de transmission, soit à un possible "gonflement " du nombre de décisions rendues au cours du premier semestre qui pourrait être lié à d’éventuels retards de traitement...soit à la conjonction des deux .
S’agissant en second lieu des décisions rendues par la commission nationale de réparation des détentions, l’article R 40-19 du code de procédure pénale, qui prévoit la communication de leurs copies à la commission de suivi de la détention provisoire, n’a été mis en oeuvre que très récemment. Toutefois, la totalité des décisions rendues à ce jour en 2002 ont été aujourd’hui communiquées et la transmission régulière des décisions à intervenir à compter de 2003 d’ores et déjà instaurée.
Les premières tendances analysées par la commission de suivi de la détention provisoire ne portent donc que sur un échantillon limité concernant une période transitoire, mais permettent néanmoins de dégager quelques premières tendances pour chaque catégorie de décisions.
2.1 - Les décisions rendues par les premiers présidents de cour d’appel
La Commission de suivi de la détention provisoire a pris le parti de rechercher quels enseignements pouvaient être tirés des premières décisions rendues par les premiers présidents de cour d’appel en procédant à l’analyse d’un échantillon de ces décisions [5].
Deux cours d’appel, ont été choisies de manière à pouvoir faire une comparaison de leur première jurisprudence sur la période couvrant l’année 2001 et janvier 2002. Il s’agit de la cour d’appel de Paris et de celle d’Aix-en-Provence. Ces deux cours totalisent près du tiers des demandes en réparation effectuées comme le montre l’enquête précitée de la direction des affaires criminelles et des grâces [6].
2.1.1 - Cour d’appel de Paris
Sur la période considérée, 42 décisions ont été rendues (23 en 2001 et 19 en janvier 2002). Douze décisions (soit environ 29%) déclarent la demande irrecevable.
Les 30 autres (soit environ 71%) la déclare à la fois recevable et bien fondée.
Les décisions d’irrecevabilité se situent très majoritairement en 2001 (11 décisions sur 23 en 2001 contre 1 seulement en 2002), l’irrecevabilité résidant la plupart du temps dans le caractère tardif du dépôt de la requête, c’est à dire au delà du délai de 6 mois.
Trois décisions concluent toutefois à l’irrecevabilité parce que le requérant n’a pas été placé en détention provisoire mais en garde à vue (1 décision) ou sous contrôle judiciaire (deux décisions), mesures de contrainte auxquelles ne s’applique pas le régime de réparation.
Sur les 30 décisions accordant réparation, le préjudice total (matériel et moral) réparé oscille entre 500 et 16160 €, soit une valeur moyenne de 6315 €.
29 de ces décisions prennent en compte le préjudice moral causé par la détention provisoire, dont la réparation oscille entre 500 et 13000 € , soit une valeur moyenne de 4933 €.
Les montants alloués en réparation de ces préjudices au regard de la durée de la détention provisoire effectuée apparaissent dans les graphiques suivants établis sur la base de conversion 1 mois=30 jours de détention provisoire.
voir les tableaux dans le sommaire - dossier intégral
2.1.2 - Cour d’appel d’Aix-en-Provence
39 décisions ont été rendues sur la période considérée (34 en 2001 et 5 en 2002). 4 décisions (soit environ 10%) concluent à l’irrecevabilité de la demande.
Elles se situent toutes en 2001 et reposent chaque fois sur le caractère tardif du dépôt de la requête.
Les 35 autres décisions (soit environ 90%) déclarent à la fois la demande recevable et bien fondée. Le préjudice total réparé oscille entre 762,25 € et 77749 €, soit une moyenne de 11062 € et le préjudice moral entre un minimum identique et un maximum de 35063,27 € soit une valeur moyenne de 7990 €.
Les montants alloués en réparation de ces préjudices au regard de la durée de la détention provisoire effectuée apparaissent dans les graphiques suivants .
voir les tableaux dans le sommaire - dossier intégral
2.1.3 - Eléments de comparaison
Les enseignements susceptibles d’être tirés des données précédentes semblent, compte tenu du nombre de décisions prises en considération, devoir être revêtus d’une grande prudence.
Il apparaît toutefois que si les décisions d’irrecevabilité ont été plus nombreuses à Paris qu’à Aix-en-Provence, un point commun réside surtout dans leur concentration sur l’année 2001 devant les deux cours d’appel et leur raréfaction à compter de janvier 2002, les requérants étant semble t-il mieux informés du nouveau dispositif procédural.
La comparaison des moyennes de réparation allouée que ce soit au titre du préjudice total ou du seul préjudice moral comme le ratio du montant de la réparation par jour de détention provisoire injustifiée tend à montrer qu’il n’existe pas de barème uniforme et que la réparation pourrait être plus importante ici que là.
2.2 - Les décisions rendues par la commission nationale de réparation des détentions
La commission nationale de réparation des détentions a succédé à la commission nationale d’indemnisation en matière de détention provisoire sur l’activité de laquelle l’on dispose de données chiffrées [7] comme d’une étude de cas sur la jurisprudence issue des décisions rendues en 1999 et 2000 [8] ; éléments de nature à permettre ultérieurement une comparaison dans le cadre de cette succession.
La commission nationale de réparation des détentions a tenu sa première audience le 14 décembre 2001 à l’issue de laquelle sur les 5 affaires qui avaient pu être mises en état et inscrites au rôle, l’une avait été renvoyée à la demande de l’avocat du requérant et les quatre autres mises en délibéré au 24 janvier 2002.
Au cours de l’année 2002, la commission nationale de réparation desdétentions a tenu 14 audiences et rendu 86 décisions. Depuis fin 2002 - début 2003, elle rend environ une dizaine de décisions par audience.
L’origine des recours formés contre les décisions des premiers présidents de cour d’appel est la suivante :
Demandeur en réparation :39 soit environ 45%,
Agent judiciaire du trésor (AJT) : 36 soit environ 42%,
Recours du procureur général : 2 soit environ 2,5%,
Recours de l’AJT et du demandeur : 7 soit environ 8%,
Recours de l’AJT et du procureur général : 2 soit environ 2,5%
Si l’on prend en considération non plus le nombre total des décisions rendues (86) mais celui des recours (95), il apparaît que se trouve à l’origine des recours seul ou concurremment :
Le demandeur à la réparation dans 46 cas sur 95 soit environ 48,5%,
L’agent judiciaire du trésor dans 45 cas soit environ 47,5%,
Le procureur général dans 4 cas soit environ 4%.
Il en résulte que sur les trois personnes auxquelles le recours est ouvert, la saisine de la commission nationale de réparation intervient quasiment toujours sur recours du demandeur ou de l’agent judiciaire du trésor (90 cas sur 95), chacun étant pour l’année 2002 à l’origine d’un nombre de recours quasiment identique (46 contre 45).
L’analyse des quatre décisions intervenues sur recours du procureur général confirme que ce dernier a toujours été formé - pour l’année 2002 - en relation avec soit l’irrecevabilité de la requête du demandeur, soit l’application des cas d’exclusion de la réparation.
Dans la décision du 12 avril 2002 (01 RDP 006), les recours du procureur général et de l’agent judiciaire du trésor contestaient la décision du premier président ayant déclaré la requête en réparation recevable en la forme (mais ayant renvoyé l’examen de l’affaire à une audience ultérieure). La commission de réparation rejette les recours au motif que la décision par laquelle le premier président n’estime pas la requête manifestement irrecevable ou mal fondée, normalement inséparable de la décision au fond, n’est pas susceptible d’un recours indépendamment de celle-ci.
Dans la décision du 28 juin 2002 (02 RDP 002), la commission retient, sur les recours du procureur général et de l’agent judiciaire du trésor, l’irrecevabilité de la requête tardive du demandeur auquel le premier président avait accordé 20275,72 € de réparation (dont 5030,82 € pour le préjudice matériel et 15244,90 € pour le préjudice moral à la suite d’une détention provisoire du 16 mars 1998 au 2 mars 1999).
En sens inverse, la décision du 20 décembre 2002 (02 RDP 045 P) accueille le recours formé par le procureur général tendant à voir déclarer la requête du demandeur recevable (et s’en rapportant sur l’indemnisation) mais n’alloue pas de réparation en l’absence d’un recours personnel du demandeur contre la décision du premier président.
Enfin, la décision du 21 novembre 2002 (02 RDP 030) rejette le recours du procureur général en rappelant le caractère limitatif des trois ces d’exclusion de l’article 149 du code de procédure pénale dont il résulte que « des exceptions mettant fin à l’action publique, telles que la prescription de l’action publique à raison de l’absence d’actes d’instruction ne constituent pas des exceptions à l’action en réparation ».
Si donc le recours du procureur général s’en tient au principe même du droit à réparation au regard d’une éventuelle irrecevabilité ou exclusion conformément à l’intérêt de l’agent judiciaire du trésor (3 cas sur 4) ou à celui du demandeur en réparation (1 cas sur 4), les recours très largement majoritaires de ces deux derniers portent non seulement sur le principe du droit à réparation mais aussi, et de manière plus fréquente, sur le montant de la réparation accordée par le premier président, le recours du demandeur tendant à l’augmentation des sommes allouées et le recours de l’agent judiciaire du trésor - dont il lui arrive de se désister - à leur réduction.
Les décisions rendues en 2002 par la commission nationale de réparation illustrent alors tous les cas de figure quant à l’issue de l’un et/ou l’autre de ces deux recours :
- du rejet du recours de l’AJT donnant plein effet à la décision du premier président ayant accordé au requérant réparation de son préjudice matériel et moral ;
- à l’accueil du recours du demandeur -dont la requête avait été rejetée par le premier président -et l’octroi d’une réparation de 25000 € au titre du préjudice moral subi à raison d’une détention provisoire de 31 mois et 8 jours et de 9455 € en réparation du préjudice matériel pour perte d’une chance directement liée à la détention de rechercher et de trouver un emploi ( 20 décembre 2002 : 02 RDP 056) ;
- en passant par toutes les hypothèses intermédiaires :
*irrecevabilité du recours du demandeur (adressé directement à la commission nationale de réparation 24 janvier 2002:01 RDP 004),
*irrecevabilité du recours de l’AJT ( 19 septembre 2002 :02 RDP 008 ),
*accueil du recours de l’AJT aboutissant à l’irrecevabilité de la requête du demandeur auquel le premier président avait accordé réparation au titre de son préjudice moral et de son préjudice matériel (11 octobre 2002 : 02 RDP 011),
* accueil du recours du requérant aboutissant à l’augmentation de la réparation allouée par le premier président au titre du préjudice moral de 8384 à 9600 € à raison d’ une détention provisoire de 9 mois et trois jours ( 21 novembre 2002 : 02 RDP 038 ),
*rejet du recours du requérant aboutissant à la confirmation du montant de la réparation allouée par le premier président au titre du préjudice moral : 3000 € à raison d’une détention provisoire de 1 mois et 19 jours ( 20 décembre 2002:02 RDP 068 ),ou en sens inverse de l’irrecevabilité de sa requête en l’état d’une relaxe seulement partielle (20 décembre 2002:02 RDP 024 ),
*etc. ...
S’il est ainsi ponctuellement possible de donner quelques illustrations du montant des sommes allouées en réparation du préjudice moral et du préjudice matériel au regard de la durée de la détention provisoire injustifiée, cette dernière donnée ne figure toutefois pas systématiquement dans les décisions ce qui rend difficile l’établissement d’une synthèse sur ce point.
Au terme d’une première approche du contentieux de la réparation de la détention provisoire injustifiée, sur une période qui apparaît assez largement encore transitoire en l’état de la mise en place progressive du nouveau dispositif , la Commission de suivi de la détention provisoire constate que si le nombre de demandes de réparation semble en forte croissance il est très difficile, en l’état des statistiques disponibles, de faire le ratio entre le nombre total des détenus provisoires non condamnés et le nombre des requérants demandant une réparation.
Ces statistiques ne comportent en effet aucun comptage relativement à la détention provisoire injustifiée et le croisement des sources donne des chiffres très variables quant aux ordonnances de non-lieu d’une part, aux décisions de relaxe et d’acquittement d’autre part.
Quant aux décisions rendues par les premiers présidents de cours d’appel et la commission nationale de réparation qui lui sont communiquées , la Commission de suivi de la détention provisoire pense qu’il serait opportun que les services de l’administration centrale du ministère de la Justice constituent une base de données permettant leur exploitation exhaustive dans une perspective quantitative et qualitative
Celle-ci pourrait , par exemple, être élaborée à partir de la proposition suivante de grille d’analyse pour les décisions de premier degré.
Grille d’analyse
1.N° de dossier
2.Cour d’appel de
3.Demandeur
3.1 Sexe
3.2 Année de naissance
3.3 Nationalité
3.4 Situation professionnelle à l’entrée en détention provisoire
3.5 Nature de l’affaire (infractions reprochées)
3.6 Casier judiciaire
4.Détention provisoire
4.1 Date d’entrée en détention provisoire
4.2 Date de fin de la détention provisoire
4.3 Durée de la détention provisoire
5.Demande de réparation
5.1 Date de la demande
5.2 Motif de la demande (non-lieu, relaxe, acquittement)
5.3 Montant de la demande au titre du préjudice moral
5.4 Montant de la demande au titre du préjudice matériel
5.5 Montant total de la demande
6. Agent judiciaire du Trésor
6.1 Proposition au titre du préjudice moral
6.2 Proposition au titre du préjudice matériel
7.Procureur général
8. Décision du premier président
8.1 Date de la décision
8.2 Irrecevabilité
8.3 Cas d’exclusion
8.4 Réparation accordée au titre du préjudice moral
8.5 Réparation accordée au titre du préjudice matériel
8.6 Article 700 NCPC
8.7 Réparation totale
8.8 Durée totale de la détention provisoire indemnisée en mois et jours