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6 Conclusion

Mise en ligne : 19 mai 2007

Texte de l'article :

CONCLUSION

La Commission a donc examiné la détention provisoire à travers cinq prismes distincts : le droit qui l’encadre ; la réalité du principe du contradictoire en la matière ; les flux de la détention provisoire et les motifs qui les expliquent ; les conditions de détention ; la réparation des détentions provisoires infondées.

Elle a confronté les données ainsi recueillies avec, d’une part, les sources disponibles et, d’autre part, la situation de quelques pays voisins comparables.

Que ressort-il de ces confrontations ?

La France s’inscrit sans conteste dans un mouvement de baisse de la détention provisoire sur le long terme. Les chiffres du Conseil de l’Europe, en particulier, établissent désormais la proximité de notre pays avec les pratiques des pays voisins.

Dans ce contexte, on doit observer soigneusement, plus que la donnée trop souvent utilisée du pourcentage de détentions provisoires par rapport à l’ensemble de la population incarcérée (dont les évolutions sont autant celles du dénominateur que celles du numérateur), les transformations internes du dispositif pénal : baisse du recours à l’instruction d’un côté, hausse de la comparution immédiate de l’autre ; diminution du nombre des jugements rendus par défaut ; accroissement du nombre d’affaires soumises aux cours d’assises ; augmentation de la durée moyenne de l’instruction ; développement ou non du contrôle judiciaire... Ces phénomènes retentissent sur les flux de la détention provisoire et éventuellement la durée de celle-ci ; ils peuvent altérer sensiblement la stabilité introduite par d’autres éléments, comme la proportion étonnamment régulière de personnes mises en examen et placées sous mandat de dépôt. En bref, la détention provisoire est la résultante d’un processus de décision dont les éléments varient avec le temps. Ces évolutions de long terme sont sans doute plus significatives que les effets incontestables et inverses, mais dont la durée n’est pas assurée, de la loi du 15 juin 2000 en premier lieu, et des consignes de fermeté données en 2002 en second lieu.

Quels sont les points forts et les points faibles du système ? Il est aventureux de se risquer, en l’état du travail de la commission, à des appréciations définitives. On peut donner au moins quelques impressions.

En dépit des efforts évidents qui ont été consentis ces dernières années, les sources d’information, notamment statistiques, peuvent encore être améliorées. Ainsi, dans les données réunies dans les cadres du parquet, les comptages par personne ne visent que les personnes effectivement poursuivies : il faudrait les étendre aux personnes déférées. Le répertoire de l’instruction ne livre pas de renseignements assez précis sur la nature des infractions : la répartition entre crimes, délits et contraventions, est insuffisante. Le casier judiciaire ne distingue pas, dans les condamnations correctionnelles celles qui résultent d’une procédure de comparution immédiate : c’est là, pourtant, un élément-clé de l’observation nécessaire. En matière pénitentiaire, les données fournies par le fichier national des détenus comportent le plus souvent une marge d’écart non négligeable avec la statistique trimestrielle par établissement : ces différences peuvent sans doute être expliquées ; elles ne le sont pas. Un examen satisfaisant de la détention provisoire requiert une amélioration dans les données fournies.

Les motifs de la détention provisoire sont un sujet de controverse. Ils se concentrent essentiellement autour du risque de trouble grave à l’ordre public résultant du maintien en liberté d’une personne infractionniste. De là à ce que, dans un certain nombre de cas, la détention provisoire soit conçue comme le début d’une peine inéluctable, il n’y a qu’un pas. Il est parfois franchi, si l’on observe le poids qu’a la situation du prévenu au jour du jugement. La probabilité d’une peine ferme sera d’autant plus grande qu’il est à ce moment en détention provisoire. Celle-ci peut donc fonctionner simultanément comme une précaution, un châtiment et l’indice d’une culpabilité.

Il est heureux dans ces conditions que le prononcé d’une mesure de détention provisoire soit, au terme de l’évolution de notre procédure pénale, fait avec davantage de précautions que dans le passé. Bien entendu, la perfection n’est pas atteinte, et on peut regretter en particulier que des contraintes pratiques (le plus souvent) rendent incertaine la réalité du principe du contradictoire. Il n’empêche : la loi autorise désormais plus de préliminaires dans lesquels s’expriment les parties en cause. Plus préoccupant est le sentiment de lassitude qui peut accompagner la tâche du juge des libertés et de la détention : affaires urgentes et répétitives, très large accord avec le parquet, qui peut conduire les magistrats à douter de l’utilité réelle de leur rôle, insatisfaction des conditions dans lesquelles le dossier est apprécié... L’enthousiasme initial s’est tari. L’efficacité sociale du traitement pénal appelle l’urgence, au moins pour les délits usuels. Mais l’urgence engendre des déceptions, tant chez les magistrats que du côté des avocats.

La Commission, après beaucoup d’autres, ne peut faire de constat satisfaisant de la situation des prévenus en prison, même si elle est consciente d’une grande variété dans les situations de chaque établissement. Toute généralisation serait injuste, en particulier à l’égard du travail des responsables de la détention, du haut en bas de l’échelle. Mais certains établissements appellent des remèdes urgents. Les plans d’investissement qui ont été lancés témoignent d’une prise de conscience salutaire. Ils ne produiront leurs effets que progressivement. Et il est possible d’affirmer que, par rapport aux normes européennes de séparation entre détenus et prévenus, entre mineurs et majeurs, nous ne figurons pas, et de loin, dans le peloton des pays de tête.

Diminuer le nombre des détenus provisoires à court terme pour faire la place dans des maisons d’arrêt souvent surpeuplées aux condamnés en début ou en fin de peine ? C’est tout un processus de décision pénale à plusieurs voix qu’il faut alors alerter ; c’est aussi un raccourcissement des procédures mais sans altérer l’effort nécessaire d’approfondissement de chaque dossier ; un renforcement - pour une aussi grande efficacité - des mesures alternatives (contrôle judiciaire) ; la recherche, peut-être, de nouvelles alternatives (les dispositifs étrangers en offrent quelques exemples, comme le montrent les annexes au rapport).

Sous réserve d’examens ultérieurs d’un système modifié récemment, on doit en revanche se féliciter du dispositif de réparation mis en oeuvre pour les détentions provisoires infondées, sans équivalent (a-t-il semblé au regard des comparaisons effectuées) en Europe. Il gagnerait encore à être mieux connu, y compris de ceux qui pourraient en bénéficier : mais le temps viendra vite où les décisions des premiers présidents de cour d’appel et de la commission nationale garantiront à chacune des personnes concernées une indemnisation équitable, dans le respect des principes de la dépense publique.

Améliorer les conditions de recours à la détention provisoire comme les conditions dans lesquelles elle est effectuée est une oeuvre de longue haleine. Aujourd’hui, l’intérêt des hommes rejoint sur ce point celui de la gestion des choses. La Commission s’efforcera d’y tenir sa place.