LE REGIME DE LA DETENTION PROVISOIRE
AUX PAYS-BAS
SYLVIE PETIT-LECLAIR, MAGISTRAT DE LIAISON
1 - La détention avant jugement existe-t-elle ?
La détention provisoire existe aux Pays-Bas. En effet, à l’expiration de la durée de la garde à vue (6 jours et 21 heures), la personne interpellée peut être remise en liberté ou présentée au juge d’instruction, à l’initiative du parquet, à l’effet de voir ordonner son placement en détention provisoire.
2 - A quels cas s’applique la détention avant jugement ?
La détention provisoire est possible dans les cas où une personne est, eu égard aux faits et circonstances, sérieusement soupçonnée d’avoir commis :
- une infraction, quelle que soit sa nature, réprimée par une peine d’emprisonnement d’une durée au moins égale à 4 années ;
- ou une infraction spécialement décrite par le code pénal : menace, chantage, détournement, escroquerie, recel..., quel que soit le quantum de la peine ;
- ou si le suspect ne dispose pas d’un domicile ou d’une résidence aux Pays-Bas.
Les règles d’application de la détention provisoire sont les mêmes, quelles que soient les circonstances.
La détention provisoire est décidée par le juge d’instruction. Toutefois, force est de rappeler que la procédure pénale néerlandaise ne connaît ni la notification des charges ni la mise en examen. Peut, par conséquent, être placée en détention provisoire toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction et considérée comme “suspect” (verdacht) par le magistrat. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le “suspect” est celui, dont on peut raisonnablement supposer qu’il a commis une infraction.
La majorité pénale est fixée à 12 ans. L’article 487 du code de procédure pénale renvoie aux dispositions générales (articles 52 à 56 du même code) : la détention provisoire des mineurs, âgés d’au moins douze ans, est, par conséquent, possible. Les règles relatives aux conditions du placement en détention provisoire et à la durée de celle-ci sont identiques aux règles prévues pour les majeurs.
Le code pénal (article 67a) donne la liste limitative des motifs de placement en détention provisoire :
- la détention provisoire ne peut être décidée, dans les cas prévus ci-dessus, que s’il existe des risques de fuite ;
- ou s’il existe un motif sérieux fondé sur la sécurité de la société :
a) si l’infraction est réprimée par une peine d’emprisonnement d’une durée au moins égale à 12 ans et si l’ordre public a été gravement troublé ;
b) ou s’il existe un risque de voir le délinquant commettre une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement d’une durée au moins égale à 6 ans ou une infraction qui mettrait en péril la sûreté de l’Etat ou la santé ou la sûreté des personnes ou qui entraînerait un danger général pour les biens ;
c) ou s’il existe un soupçon sérieux que le suspect, qui a commis une infraction constituant une atteinte aux biens, commettra une nouvelle infraction dans les 5 ans d’une condamnation à la privation ou la restriction de liberté ou à un travail d’intérêt général ;
d) ou s’il est nécessaire d’établir la vérité par des méthodes autres que ses
propres déclarations.
Le placement en détention provisoire n’est pas possible, lorsqu’il est improbable que le prévenu sera condamné à une peine d’emprisonnement.
3 - Quelle autorité prend la décision en matière de détention avant jugement ?
La décision initiale de placement en détention provisoire est prise par le juge d’instruction (rechter-commissaris) qui procède à l’audition du suspect, en présence ou non de son avocat.
Le juge d’instruction doit entendre le suspect avant de prendre la décision relative au placement éventuel en détention provisoire, sauf si cette audition préalable ne peut être organisée (ex : suspect hospitalisé à l’autre bout du pays).
Dans ce dernier cas, le juge entendra le suspect dans un délai de 24 heures après sa décision (article 77 alinéa 1 du code de procédure pénale).
Si les motifs du placement en détention provisoire sont encore valables, à l’issue de la première période de détention provisoire, le procureur de la Reine demande au tribunal (statuant en audience collégiale et en chambre du conseil) de prolonger la détention provisoire de l’intéressé, en présence ou non d’un avocat. La “chambre du conseil” néerlandaise ne statue pas nécessairement “à huis clos” ; en effet, si l’affaire est audiencée par le procureur, pour qu’il soit statué à la fois sur le fond de l’affaire et sur la détention provisoire, la décision concernant celle-ci sera prise en audience publique.
Le suspect et son avocat, le cas échéant, sont convoqués à l’audience. Selon l’article 66 alinéa 3 du code de procédure pénale, ils ont la possibilité d’être entendus. Si un suspect refuse de se déplacer à l’audience, la chambre du conseil peut prendre la décision de le contraindre à se présenter (l’article 23 alinéa 1 du code de procédure pénale donne, en effet, à la chambre du conseil, la possibilité de donner des ordres, quels qu’ils soient).
La décision de remise en liberté est prise par le juge d’instruction ou par le tribunal, d’office ou encore à la demande du procureur ou du suspect. L’avocat est convoqué. La détention provisoire peut être suspendue purement et simplement ou encore le suspect peut être libéré sous condition(s).
4 - Durée de la détention avant jugement
La détention provisoire est d’abord décidée par le juge d’instruction (ou le juge des enfants) pour une durée de 10 jours. Ensuite, le tribunal, saisi par le procureur de la Reine, peut prolonger cette mesure pour une durée de 30 jours. A l’issue de cette période, le tribunal peut être saisi d’une nouvelle demande, qui pourra être suivie d’une nouvelle période de détention provisoire d’une durée de 30 jours, à l’issue de laquelle le tribunal pourra être saisi d’une dernière demande.
Au total, la durée de la détention est donc de 100 jours, étant observé que cette durée est d’application générale, quelle que soit l’infraction et quelle que soit la personne et qu’il doit être mis fin à la détention provisoire, s’il apparaît que la durée de la condamnation à une peine d’emprisonnement à temps n’excèdera pas la durée de la détention provisoire déjà poursuivie.
Si le suspect est toujours en détention provisoire, à l’expiration du délai de jours, le procureur de la Reine doit audiencer l’affaire devant le tribunal. Si le dossier n’est pas en état, le tribunal décide, lors de l’audience dite “audience pro-forma”, d’ajourner le procès. Il se prononce par ailleurs sur le maintien de l’intéressé en détention provisoire. Le procès peut être ajourné à un mois au plus, sauf dans l’hypothèse où il y aurait des raisons pressantes pour qu’un ajournement d’une durée égale ou inférieure à trois mois soit prononcé ; dans ce cas, ces raisons doivent être expressément rappelées dans le jugement. (ex : l’assassin présumé de l’homme politique Pim Fortuijn est en détention provisoire, depuis début mai 2002). L’audience peut être reportée à plusieurs reprises, sans autre limitation que celle résultant de l’application du délai raisonnable de la Convention européenne des droits de l’homme.
Si appel est interjeté à l’encontre du jugement du tribunal d’arrondissement, la cour d’appel peut également maintenir la détention provisoire par périodes de trente jours.
5 - Recours éventuels à l’encontre des décisions prises en matière de détention avant jugement
Seuls le suspect et le ministère public peuvent interjeter appel des décisions prises en matière de détention provisoire.
Le ministère public dispose d’un délai de 14 jours pour exercer un recours contre toute décision relative à la détention provisoire et ce, en vertu du principe général qui lui permet d’interjeter appel, dans le délai de 14 jours, contre toute décision refusant de faire droit à l’une de ses requêtes.
Le suspect peut interjeter appel des décisions rendues par le tribunal et ce, dans le délai bref de trois jours. Il ne peut pas exercer un recours contre la décision du juge d’instruction ; il peut seulement saisir la chambre du conseil du tribunal d’une demande tendant à l’annulation de la décision de placement en détention provisoire (juridiquement, il ne s’agit donc pas d’un recours).
L’appel contre la décision du juge d’instruction est examiné par la chambre du conseil du tribunal. Les appels contre les décisions prises par le tribunal sont examinés par la cour d’appel. Les suspects et leurs avocats sont convoqués et un débat contradictoire peut être organisé.
Aucun délai n’est imparti au tribunal ou à la cour d’appel pour statuer sur l’appel. L’un et l’autre doivent, en revanche, statuer aussi rapidement que possible.
En pratique, une audience est organisée chaque semaine, au cours de laquelle sont évoqués les appels afférents aux décisions tendant au placement ou au maintien en détention provisoire.
S’il est impossible d’attaquer la décision relative à la détention provisoire, sur le fondement des dispositions du code pénal, le juge civil peut être saisi.
6 - Régime pénitentiaire de la détention avant jugement
L’administration pénitentiaire dispose de prisons, qui reçoivent les personnes condamnées à une peine privative de liberté et de maisons d’arrêt destinées aux condamnés à une courte peine, à ceux dont le reliquat de la peine à purger n’excède pas trois mois, aux détenus, qui font l’objet d’une injonction thérapeutique assortie d’un internement psychiatrique obligatoire mais qui doivent attendre leur placement dans un centre psychiatrique “TBS” et aux personnes, qui sont en détention provisoire.
Les prisonniers en détention provisoire sont placés dans des quartiers à part.
Ils disposent d’une liberté moins étendue ; certes, le programme quotidien n’est pas fondamentalement différent mais les programmes d’éducation et de resocialisation sont bien évidemment plus sophistiqués pour les condamnés. De même, le travail est, pour ces derniers, obligatoire, ce qui n’est pas le cas pour les détenus en détention provisoire.
Les mineurs sont détenus dans des centres pour mineurs.
7 - Imputation du temps passé en détention provisoire sur le temps de la condamnation à une peine d’emprisonnement ferme
Il résulte de l’article 27 du code pénal que la durée de la détention provisoire s’impute sur la durée de la peine d’emprisonnement.
8 - Indemnisation ou autre forme de compensation
Le code de procédure pénale prévoit une indemnisation d’ordre pécuniaire pour le temps passé en détention provisoire, lorsque la procédure se termine sans jugement de condamnation (non-lieu ou acquittement) ou avec une décision de condamnation pour une infraction, qui excluait le placement en détention provisoire.
Selon l’article 89 du code de procédure pénale, la demande fondée sur ces motifs doit être présentée à la chambre du conseil du tribunal statuant en matière pénale.
L’indemnisation est également possible en cas de détention arbitraire et également pour une détention légale mais injustifiée. Dans ce cas, la “victime” peut saisir le tribunal civil.
Le préjudice peut être indemnisé sous forme de dommages intérêts destinés à réparer tant le dommage matériel que le dommage moral (l’association des juges propose aux juges d’évaluer le préjudice consécutif à un jour de détention provisoire à une somme oscillant entre 50 et 100 €).
Selon la jurisprudence de la cour d’appel de la Haye, codifiée dans l’article 90 alinéa 4 du code de procédure pénale, l’indemnisation peut se résoudre en une réduction d’une peine prononcée dans le cadre d’une autre affaire.
9 - Eléments statistiques
Au cours de l’année 2001, les détenus en détention provisoire ont représenté en moyenne 43, 1 % des détenus ; 93, 2 % détenus en détention provisoire étaient des hommes, tandis que les femmes n’ont représenté que 6, 8 % des détenus.
Pour l’année 2000, 268 personnes/1000 habitants ont été soupçonnées d’avoir commis une infraction. Sur ces 268 “suspects :
- 196 étaient des hommes
- 25 étaient des femmes
- 41 étaient des mineurs de sexe masculin
- 6 étaient des mineurs de sexe féminin.
Sur ces 268 suspects, 45 ont été placés en détention provisoire.
Pour l’année 2000, les infractions pour lesquelles les suspects ont été placés en détention provisoire se répartissaient ainsi :
- 33 % : faits de violence
- 28 % : atteintes aux biens
- 19 % : infractions à la législation sur les stupéfiants
- 7 % : dégradations et atteinte à l’ordre public
- 3% : autres infractions au code pénal
- 2% : infractions visées par d’autres lois
- 1 % : infractions au code de la route
- 6 % : inconnu
Quelques chiffres au titre de l’indemnisation de personnes placées en détention provisoire :
10 - Débats et projets d’aménagements
Il n’y a pas eu, aux Pays-Bas, de modifications législatives, au cours des trois dernières années.
Il existe actuellement un grand projet universitaire subventionné par le ministère de la Justice. La proposition la plus marquante consisterait à faire modifier les conditions de prolongation de la détention provisoire : dans l’hypothèse de situations dépourvues d’ambiguïté, les juges devraient avoir la possibilité de prolonger la détention provisoire pour une durée unique de 90 jours, à l’issue du délai de 10 jours imparti au juge d’instruction.