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73 Détention provisoire en Italie

Mise en ligne : 20 octobre 2004

Texte de l'article :

LE REGIME DE LA DETENTION PROVISOIRE
EN ITALIE
(Emmanuel BARBE, Magistrat de liaison)

1 - La détention avant jugement existe t-elle ?
Il existe un régime de détention avant jugement en Italie. Il convient d souligner que le code de procédure pénale italien assimile à la détention provisoire à proprement parler l’arrestation à domicile (arresti domiciliari) et la détention dans un centre de soin. Ces deux formes de détention provisoire obéissent pratiquement aux mêmes règles et emportent les mêmes effets que la détention provisoire dans une prison.

2 - A quels cas s’applique la détention avant jugement ?
Il convient tout d’abord de souligner que la loi italienne, contrairement à la loi française, indique que la détention avant jugement est impossible à l’encontre d’une personne contre laquelle n’existerait pas de graves indices de culpabilité (appréciation au demeurant « objectivée » par le code de procédure pénale). En outre, la détention est également impossible si existe un fait justificatif, une cause de non punibilité, de non subsistance de l’infraction ou encore une cause d’extinction de la peine que le juge estimerait devoir être prononcée.
La loi italienne définit les conditions de fond exigées pour pouvoir prendre une mesure de détention provisoire :
- circonstances concrètes montrant que la détention est le seul moyen de préserver l’enquête (on parle de « pollution » de l’enquête) ;
- risque de fuite (si le juge estime que la peine finalement prononcée serait supérieure à deux années de prison) ;
- risque de réitération de l’infraction ou de commission d’infractions « dangereuses » (pour simplifier).
On notera en revanche que la motivation fondée sur le « trouble exceptionnel à l’ordre public » est absente en droit italien.
La détention provisoire n’est possible que pour les infractions passibles de certaines peines d’emprisonnement [1], soit :
- infraction punie d’une peine supérieure à 3 années, pour les mesures équivalentes à la détention (arrestation domiciliaire, mesure de détention dans un lieu de soin) ou pour une mesure de détention si la personne s’est soustraite à des arrêts domiciliaires ;
- infraction punie d’une peine non inférieure à 4 années pour les mesures de détention provisoire dans un établissement pénitentiaire.
Toutefois, il convient de noter que si le juge devant décider de la mesure retient que la personne bénéficierait vraisemblablement d’une peine assortie d’un sursis, la détention provisoire n’est pas possible [2].
Enfin, il existe certains cas dans lesquels la détention provisoire ne peut pas être ordonnée :
a) femme enceinte ou mère d’enfants de moins de 3 ans ;
b) personne âgée de plus de 70 ans ;
c) personne atteinte d’un S.I.D.A. déclaré (pas seulement séropositive) ;
d) personne atteinte d’une maladie rendant sa détention impossible.
Dans les cas a) et b), il est possible de déroger, pour des motifs exceptionnels, à la prohibition. Dans les cas c) et d), il est possible de prendre une mesure d’arrêts domiciliaires dans un lieu de soin ou d’assistance.
Il convient enfin de relever que le droit procédural italien prévoit explicitement que la mesure de détention provisoire doit être proportionnelle à la gravité des faits en cause. Autrement dit, la proportionnalité n’est pas présumée parce que la détention provisoire serait légale.
Seul le juge peut ordonner une mesure de détention avant jugement, c’est-à dire une mesure confiée à l’administration pénitentiaire. L’Italie connaît aussi un régime de garde-à-vue.
Hors les cas de flagrance, le ministère public (qui conduit les enquêtes en Italie) peut demander au juge compétent (infra) que soit prise une mesure de détention provisoire. La personne, dès qu’elle est arrêtée, peut être incarcérée immédiatement, sans rencontrer le juge. Celui-ci dispose d’un délai de 5 jours pour notifier les charges à la personne et l’interroger.
Les mineurs sont également concernés par la détention provisoire. La majorité pénale est fixée à 18 ans.
Les mineurs bénéficient d’un régime spécifique. Il vise à limiter le recours à la détention provisoire en « durcissant » les règles applicables : seuils minimal de peine encourue plus élevé (avec un calcul qui tient compte de la circonstance atténuante de minorité), critères de mise en détention plus stricts (en particulier, le risque de fuite, prévu par la loi, a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle). Ce régime varie selon que le mineur est âgé de moins ou de plus de 16 ans.
L’âge de la responsabilité pénale est fixé à 14 ans. Les mesures de détention provisoire peuvent s’appliquer aux mineurs de 14 ans.

3 - Quelle autorité prend la décision en matière de détention avant jugement ?
La décision initiale est prise par le juge du siège compétent au moment où est formulée la demande de mise en détention par le ministère public, soit le juge de l’enquête préliminaire (dans la phase « d’instruction » du dossier), le juge de l’audience préliminaire (juge compétent à la fin de « l’instruction » soit orienter l’affaire (il peut la juger, selon différents modes, ou décider de son renvoi devant la juridiction), ou encore le juge du fond saisi du dossier (président du tribunal ou de la cour d’assises).
Il en va de même pour la décision de prolongation (cf. 4 ci-dessous) et la
décision de remise en liberté
La personne est toujours assistée ou représentée par un avocat. Le cas échéant, l’avocat est désigné d’office.

4 - Durée de la détention avant jugement
Le système de décompte de la détention provisoire obéit à des règles complexes, qui sont schématiquement les suivantes :
- Chaque phase du procès possède des délais propres (par exemple 9 mois pour l’enquête, 6 mois pour l’audiencement etc.). Ils varient en fonction de la peine encourue mais aussi, le point est à souligner, de la peine prononcée à partir du moment où la personne a fait l’objet d’une première condamnation. Sont également prises en compte les formes simplifiées de procès [3] qui réduisent la durée possible de la détention provisoire.
- Il existe des cas de suspension (si la défense pratique une politique de la chaise vide, en cas de procès complexe ou pour le temps de rédaction de la motivation) ou de prorogation de ces délais (réalisation d’une expertise psychiatrique, au moment de l’enquête quand des investigations particulièrement complexes sont conduites et qu’il est impératif que la personne reste détenue).
- Cependant, ont également été prévues des durées maximales de détention (pour éviter qu’une prorogation ou une suspension n’aboutissent à une détention avant jugement sans limite).
- Pour l’enquête à proprement parler (c’est-à-dire jusqu’à ce qui serait la décision de renvoi en droit français), les délais vont de 3 mois à un an (renouvelables une fois, de la moitié de la période). Des délais analogues sont prévus pour toutes les autres phases de la procédure (jugement, appel, décision définitive etc.). Au total, la détention ne peut dépasser (prorogations éventuelles incluses) :
o 2 années pour les infractions punies de moins de 6 années d’emprisonnement (c’est-à-dire donc entre 4 et 6 ans, puisque la détention provisoire est impossible pour les infractions punies de moins de 4 années d’emprisonnement) ;
o 4 années pour les infractions punies de 6 à 20 années d’emprisonnement ;
o 6 années pour les infractions punies de plus de 20 années d’emprisonnement.

5 - Recours éventuels à l’encontre des décisions prises en matière de
détention avant jugement
Il existe plusieurs types de recours sur les décisions prises en matière de
détention :
a) Réexamen
Seul le prévenu ou son défenseur peuvent exercer un recours contre une décision de mise en détention. Il s’agit alors d’une demande de réexamen, qui se tient devant une composition spéciale du tribunal, le tribunal de la liberté, qui a son siège au lieu de la cour d’Appel de la juridiction concernée (par exemple, si l’on transposait à la France, le tribunal de Douai pour tous les tribunaux du ressort de cette cour d’appel). Dans l’hypothèse d’un rejet partiel par le juge de la demande du ministère public (le juge a par exemple décidé une mesure d’arrêts domiciliaires et non de détention provisoire), le ministère public ne peut non plus faire appel : il dispose seulement de la faculté de proposer à nouveau la mesure, en se fondant cependant sur des éléments nouveaux.
Lors du dépôt de la requête, le président du tribunal de la liberté doit demander les actes fondant la mesure de détention au ministère public, qui a 5 jours pour les fournir, à peine de cessation de la mesure de détention. La procédure se déroule en chambre du conseil, avec la participation facultative du ministère public et la participation de la personne et de son avocat.
b) Appel
L’appel est possible toutes les décisions relatives à la détention qui ne prévoient pas une mesure de détention (lesquelles sont donc attaquables par la voie du réexamen), c’est-à-dire également qui la rejettent. A la différence du réexamen, l’appel est également ouvert au ministère public et doit être motivé (ce qui encadre la saisine de la juridiction compétente, le Tribunal des libertés).
Même si les pièces doivent être communiquées au président du tribunal dans les mêmes délais, le délai n’est pas impératif puisque n’est pas en jeu une question de liberté.
b) Cassation
Le recours en cassation est ouvert contre les décisions du tribunal de la liberté, mais aussi, de manière alternative, directement contre les décisions de mise en détention provisoire (la personne poursuivie doit choisir soit la voie du réexamen, soit la voie du recours en cassation)

6 - Régime pénitentiaire de la détention avant jugement
Il existe en Italie un régime spécial de détention pour les personnes poursuivies ou condamnées pour des infractions de type maffieuses, connu sous le nom de régime 41 bis (du code pénitentiaire). Ce régime, particulièrement sévère, s’applique également à la détention provisoire. Il vise à empêcher les maffieux de continuer à diriger leur organisation depuis leur prison.
En ce qui concerne les mineurs, il est fait obligation de les incarcérer dans des établissements pénitentiaires spécialisés, qui sont distincts des établissements pour majeurs. Concrètement, ce régime spécial s’applique également aux jeunes majeurs de 21 ans.

7 - Imputation du temps passé en détention avant jugement sur le temps de la condamnation à une peine d’emprisonnement ferme
Oui. Cela résulte explicitement du code de procédure pénale (article 657). Il convient de souligner que les arrêts domiciliaires comme la détention avant jugement dans un établissement de soin sont inclus dans la prévision de l’article 657.

8 - Indemnisation ou autre forme de compensation
Le nouveau code de procédure pénale de 1988 a introduit dans la loi italienne le principe de l’indemnisation de la détention provisoire injuste et de la détention provisoire illégale. Une loi de 1999 a facilité l’accès à l’indemnisation et en a augmenté le plafond (loi Carotti).
La détention provisoire est injuste lorsque la personne mise en détention a été déclarée innocente à l’issue du processus judiciaire, sauf si la personne est à l’origine ou a contribué à sa détention par dol ou par sa faute ou sa faute grave. La détention injuste requiert une décision définitive de relaxe (ou d’acquittement), une décision de non-lieu à instruire, de non-lieu ou de classement sans suite (décision qui est prise, en Italie, par un juge du siège sur proposition du ministère public).
La détention provisoire est illégale lorsqu’elle a été subie par une personne (fut-elle déclarée coupable à l’issue du procès) en vertu d’une ordonnance de mise en détention prise alors que n’existaient pas les indices nécessaires de culpabilité ou que la peine encourue n’autorisait pas la prise (ou le maintien) d’une mesure de détention provisoire. En revanche, l’évaluation erronée des conditions de fond nécessaires à la détention (danger de fuite, nécessité de conserver les éléments de preuve, dangerosité sociale) n’ont pas pour effet de rendre la détention illégale et par conséquent ne donne pas lieu à réparation.
La demande de réparation doit être introduite, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de 2 année suivant le caractère définitif de la décision. La demande doit être déposée personnellement par la personne ou par une personne dotée d’un mandat spécial.
La détention injuste donne lieu à une réparation équitable, déterminée en fonction de la durée subie et des conséquences personnelles et familiales qui en sont dérivées. Elle est plafonnée à environ 516 000 euros (1 milliard de lires). Il ne s’agit donc pas juridiquement d’un droit à réparation objectif, mais plus d’une indemnisation qui naît d’un devoir de solidarité plus que d’une idée de réparation d’une faute.

9 - Eléments statistiques et études quantitatives portés à votre connaissance

Le schéma ci-dessus pour l’année 2001 [4] montre que 42 % des détenus italiens sont placés sous le régime de la détention provisoire. Leur répartition se fait comme suit : 54 % n’ont pas encore été jugés, 32 % ont fait un appel, 14 % ont fait un recours en cassation.

10 - Débats et projets d’aménagements
A l’exception de la loi Carotti (cf. supra), le dispositif italien n’a pas fait l’objet de modifications récentes directes. En revanche, comme en France, l’élaboration du code pénal prend très largement en compte les seuils de la détention provisoire : c’est ainsi que le délit de faux bilan n’est désormais plus sujet à détention provisoire, par abaissement du seuil de punissabilité au dessous des 4 années fatidiques.

Que peut-on dire de la pratique par rapport aux règles de droit ci-dessus
rappelées (écart ou coïncidence) ?
Le droit encadrant la détention provisoire en Italie est particulièrement élaboré.
Théoriquement, on peut dire qu’il encadre la détention provisoire d’une manière plus étroite que le droit français, notamment en favorisant le contrôle sur les décisions de mise en détention. En termes statistiques, il semble cependant que nos deux pays soient dans des situations sensiblement identiques.
Lors de l’opération « mani pulite », dans les années 90, le recours à la détention provisoire comme moyen de faire avouer les personnes mises en examen a régulièrement été dénoncé. Le débat semble actuellement moins présent, la question se déplaçant plutôt sur la nature des infractions sujettes à détention provisoire (supra).
Le sujet de la justice est dans l’Italie d’aujourd’hui un sujet brûlant et polémique. L’ensemble des opérateurs juridiques semble cependant s’accorder pour dire que le système judiciaire pénal italien devrait faire l’objet d’une refonte d’ensemble ; celle-ci ne manquerait pas de toucher la question de la détention provisoire, dans un pays où la durée moyenne des procès est particulièrement élevée.

Notes:

[1] Le calcul de la peine encourue obéit à des règles complexes définies par la loi (par exemple, on ne prend pas en compte la récidive)

[2] Commentaire : naturellement, l’appréciation par le juge est subjective : toutefois, au moment d’un recours, par exemple devant la Cour de cassation, l’on pourrait facilement plaider l’erreur manifeste d’appréciation, par exemple pour une personne jamais condamnée

[3] Le procès italien étant particulièrement lourd (la preuve ne peut s’acquérir qu’à l’audience, le législateur a créé des formes simplifiées de procès de même que le « plea bargaining » (patteggiamento)

[4] Sources : site Internet du ministère de la justice