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Date : 9-10-2004

74 Détention provisoire en Angleterre et aux Pays de Galle

Mise en ligne : 21 octobre 2004

Texte de l'article :

LE REGIME DE LA DETENTION PROVISOIRE
EN ANGLETERRE ET AU PAYS DE GALLE
BERNARD RABATEL, MAGISTRAT DE LIAISON

1 - La détention avant jugement existe t-elle ?
"Remand in custody - Remand on bail"
Au Royaume Uni, le verbe to "remand" peut, parfois, prêter à confusion. Il vise, en effet, plusieurs situations :
- "renvoyer" quelqu’un devant une juridiction (to remand sb to a court) ;
- "renvoyer" une affaire à une date ultérieure (a case remanded...) ;
- "placer" en détention provisoire (to remand sb in custody) ;
- "placer" en liberté sous caution (to remand sb on bail).
Caractérisant une situation provisoire, l’adjectif "remand" est également utilisé dans les expressions "maison d’arrêt" (remand home), "centre de détention provisoire" (remand center), "détenu provisoire" (remand prisoner).
En Angleterre, comme au Pays de Galles, la compétence des tribunaux pour placer une personne en détention provisoire (to remand sb in custody) est très directement liée à celle d’accorder le bénéfice de la liberté sous caution ou non (to grand bail). Elle est aussi liée à la possibilité qu’ont les tribunaux d’ordonner le "renvoi" (remise de cause) d’une affaire à une date ultérieure.
En effet, cette remise de cause peut, soit s’accompagner d’une mesure de placement en détention provisoire où d’une mesure de contrôle (pouvant être comparée au contrôle judiciaire), soit être un simple renvoi (simple adjournment). Si un tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour ordonner une remise de cause, il est tenu, dans certains cas, d’accompagner sa décision d’une mesure ayant pour effet de restreindre plus ou moins la liberté du prévenu.

2 - A quels cas s’applique la détention avant jugement ?
To remand or not to remand ?
Si l’on excepte les affaires dans lesquelles la personne accusée d’une infraction relativement mineure accepte de plaider "coupable" et si le juge n’estime pas devoir faire établir un rapport avant le prononcé de la peine, la plupart de celles traitées par les "magistrates" (cf. encadré infra) ne sont pas jugées lors de la première comparution de l’intéressé. Dès lors qu’il ordonne la remise de l’affaire à une date ultérieure, le magistrate peut l’assortir d’une mesure de contrôle. Dans certains cas, il y est tenu.
Si l’infraction reprochée est une infraction dite "sommaire" (summary offence) et si le renvoi intervient avant jugement, les magistrates peuvent le décider sans ordonner une telle mesure.
De même, si l’infraction est plus sérieuse (triable either way), pouvant être de la compétence soit de la magistrates’ court, soit de la Crown court (comparable à une cour d’assises), et si le prévenu n’a pas déjà fait l’objet d’une mesure de contrôle et comparaît sur une citation (à opposer à une mise en accusation notifiée par la police à la suite d’une arrestation), le magistrate dispose encore d’une possibilité d’appréciation.
En revanche, dans tous les autres cas qui concernent :
- les infractions relevant uniquement de la compétence de la Crown court (indictable offences), pour lesquelles une seule audience préliminaire a lieu devant la magistrates’ court,
- celles pouvant relever de la magistrates’ court ou de la Crown court (triable either way), quand le prévenu a déjà fait l’objet d’une mesure restreignant sa liberté ou quand il a été mis en accusation (charged) par la police,
- les ajournements après déclaration de culpabilité, dans l’attente de la rédaction du rapport préalable au prononcé de la peine, une mesure de "remand" doit être ordonnée (contrôle judiciaire ou prison).
Au-delà de la garantie de représentation en justice qu’une telle mesure est censée apporter, les conséquences ne sont pas les mêmes pour un individu qui ne se présente pas devant le juge à la date fixée, selon qu’il fait ou non l’objet d’une mesure de "bail". Si un simple ajournement a été ordonné, une décision pourra être prononcée en l’absence de l’intéressé, tandis que si celui-ci a été "remanded on bail", il commet une infraction distincte de celle pour laquelle il est initialement poursuivi, en ne comparaissant pas comme il en avait l’obligation.
« Quand ? »
La décision de remettre ou non l’auteur présumé d’une infraction en liberté (to grant or refuse bail) peut être prise :
- à la suite d’une arrestation, selon que la police va ou non notifier une poursuite à l’encontre du mis en cause, la décision appartenant à l’agent chargé de la procédure de garde à vue (custody officer), lequel se prononcera après s’être concerté avec son collègue enquêteur ;
- lorsqu’un magistrate signe un mandat d’arrestation à l’encontre d’une personne nommément désignée ;
- lorsqu’un magistrate ordonne le renvoi d’une affaire, avant jugement ;
- lorsqu’un magistrate décide de faire juger l’auteur d’une infraction présumée par la Crown court ou lorsqu’il soumet l’affaire à cette juridiction pour le prononcé de la peine (généralement quand la peine à envisager excède le quantum de la compétence de la magistrates’ court) ;
- en cas d’appel devant la Crown court, par une personne en détention provisoire, d’une décision prise par la magistrates’ court...
De leur côté, les juges de la Crown court, de la High court et de la division pénale de la cour d’appel (court of appeal) sont compétents pour se rononcer sur l’opportunité de remettre ou non en liberté une personne placée en détention provisoire.
Si l’âge de la majorité pénale est fixé à 18 ans, en Angleterre et au Pays de Galles, en revanche les mineurs ayant atteint l’âge de 17 ans sont considérés comme des majeurs en ce qui concerne les mesures de « remand on bail » ou de « remand in custody ».
La législation distingue, parmi les mineurs, ceux âgés de 10 et 11 ans, de 12 et 14 ans, les garçons de 15 et 16 ans et les filles de 15 et 16 ans. Selon l’âge atteint par le mineur, le juge peut ordonner une mesure de « bail » avec ou sans conditions, ou une mesure de placement dans un centre pour mineur (local authority accomodation). Si l’autorité à laquelle la garde du mineur a été confiée estime que celui-ci devrait être placé dans un centre fermé (secure accomodation ou secure placement), il lui appartient de saisir le juge et de justifier la nécessité d’une telle mesure. Cette autorité devra alors établir que :
- le mineur est poursuivi du chef d’une infraction pénale qui lui ferait encourir une peine punissable de 14 ans de prison ou plus s’il était adulte, ou que
- le mineur est poursuivi pour des actes de violence ou une infraction à caractère sexuel, ou que
- le mineur a des antécédents démontrant qu’il s’est déjà enfui d’un centre, alors qu’il est poursuivi pour des faits (lui faisant encourir une peine d’emprisonnement) commis alors qu’il était l’objet d’un placement, et qu’aucun établissement autre que fermé n’est approprié à son cas (risque de fuite ou d’atteintes à son intégrité physique ou à celle d’autrui).
Dans certains cas et en fonction de l’âge du mineur concerné, le juge peut directement ordonner un placement dans un établissement fermé.
Pour les adultes, comme pour certains mineurs, le risque de réitération de l’infraction, d’absence de garantie de représentation, de pressions sur les témoins... sont des éléments pris en considération par les magistrates’s courts ou les « youth courts » (tribunaux pour mineurs) au moment d’apprécier l’opportunité d’un placement ou non en détention.

3 - Quelle autorité prend la décision en matière de détention avant jugement ?
La police, qui est à l’origine de l’arrestation de l’auteur d’une infraction, peut, après avoir décidé d’engager une poursuite (l’opportunité des poursuites appartient à la police et non au Crown Prosecution Service - des projets de réforme sont actuellement à l’étude pour permettre dans l’avenir au CPS d’intervenir plus en amont dans la procédure pénale), faire comparaître l’intéressé devant un magistrate en vue d’une mesure de détention provisoire (celle-ci ayant déjà commencé dans les locaux de police).
La prolongation de la détention provisoire est de la compétence de la magistrates’ court. L’assistance d’un avocat (barrister ou solicitor) est de droit.

4 - Durée de la détention avant jugement
« Combien de temps ? »
D’une manière générale, quand un magistrate place un prévenu en détention provisoire avant sa mise en accusation (committal proceedings) ou son jugement sommaire (summary trial), il ne peut le faire pour plus de 8 jours. Dans le passé, en cas de prolongation de cette période, le prévenu devait comparaître en personne chaque semaine, même s’il ne faisait pas de doute que sa détention devait être maintenue.
Pour remédier à la lourdeur d’une telle procédure, une réforme législative de 1982 (Criminal Justice Act 1982) a permis de faire consentir un prévenu à être détenu pendant un maximum de 28 jours sans comparution personnelle devant le magistrate. En application de ce nouveau texte, le magistrate devait faire savoir à un prévenu, dès lors qu’il était assisté d’un avocat, qu’il pouvait renoncer à comparaître aux trois dates suivantes de prolongation, sa présence étant nécessaire à la quatrième qu’il le souhaite ou non, Cette possibilité ne s’appliquait pas aux prévenus non représentés par un avocat ou à ceux étant mineurs. Sous cette législation, un prévenu détenu pouvait cependant exiger d’être présent chaque semaine, à l’audience de prolongation de sa détention, qui ne pouvait être ordonnée que pour un maximum de 8 jours.
En 1988 (Criminal Justice Act 1988), une nouvelle disposition a ouvert la possibilité à un magistrate de prolonger la détention provisoire pendant 28 jours, que le prévenu y consente ou non. Cette procédure de prolongation de la détention provisoire pour une durée maximale de 28 jours ne s’applique cependant pas à l’audience de première comparution devant le magistrate, mais seulement aux suivantes.
A noter que, quand un magistrate doit statuer sur une mesure de restriction de liberté (détention provisoire ou contrôle judiciaire) après la déclaration de culpabilité, dans l’attente du rapport établi avant le prononcé de la peine, une telle prolongation de la mesure ne peut être supérieure à trois semaines si le condamné est détenu et à quatre semaines s’il est sous contrôle judiciaire.
Le maintien en détention provisoire de l’auteur présumé d’une infraction peut être ordonné pour une période maximale de :
- 70 jours entre la date de première comparution devant la magistrates’ court et la décision de renvoyer l’affaire à la Crown court (pour les infractions relevant de la compétence de cette juridiction) ;
- 70 jours entre la date de première comparution devant la magistrates’ court et le jugement de l’affaire par cette juridiction si l’infraction appartient à la catégorie de celles pouvant être jugées soit par la magistrates’ court, soit par la Crown court ;
- 56 jours entre la date de première comparution devant la magistrates’ court et le jugement de l’affaire si l’infraction. relève uniquement de la compétence de la magistrates’ court ;
- 112 jours entre la date de renvoi devant la Crown court et le commencement de l’audience.

En cas de dépassement de ces limites de temps, la première conséquence est la libération de l’accusé.
A noter que l’accusation (le Crown Prosecution Service) peut demander une prolongation de la mesure de détention provisoire ou de contrôle judiciaire. Elle doit alors démontrer au juge, notamment, que le dépassement du délai est dû, soit :
- à l’absence ou à la maladie de l’accusé, d’un témoin essentiel, d’un juge ou d’un magistrate,
- au fait que la Cour a ordonné des procès distincts dans une affaire mettant en cause deux ou plus de deux accusés, ou deux ou plus de deux infractions,
- pour une autre raison jugée valable, et qu’elle a agi avec diligence en ce qui la concerne.

5 - Recours éventuels à l’encontre des décisions prises en matière de
détention avant jugement
« Un droit qui connaît des limites »
Une loi de 1976 (Bail Act 1976) prévoit qu’une personne accusée d’une infraction bénéficie de ce qu’on peut appeler un "droit à la liberté provisoire" (right to bail).
Les demandes de mise en liberté peuvent généralement être formées à toutes les étapes de la procédure pénale, par exemple quand l’auteur d’une infraction vient de se voir notifier une mise en accusation par un service de police ou quand il comparaît devant un magistrate.
Une mise en liberté peut être refusée à l’auteur présumé d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement si le juge estime qu’il existe un risque de nonreprésentation en justice ; de réitération des agissements, de pression sur les témoins ou d’obstacle à la Justice...
Le droit à la liberté provisoire ne s’applique, toutefois, pas à toutes les étapes de la procédure pénale et à toutes les personnes poursuivies.
En effet, pour certains prévenus, ce droit n’est applicable que s’il existe des circonstances qualifiées d’exceptionnelles (wholly exceptional circumstances) en leur faveur. Il en est ainsi des personnes poursuivies pour meurtre ou tentative de meurtre, viol ou tentative de viol, homicide involontaire, si elles ont déjà été déclarées coupables d’une telle infraction (avec prononcé d’une peine d’emprisonnement en ce qui concerne notamment l’homicide involontaire).
Si l’infraction reprochée n’est pas punissable d’une peine d’emprisonnement, il est également possible de refuser le bénéfice d’une mise en liberté dans certaines circonstances exceptionnelles ou si l’auteur présumé n’a pas respecté les obligations d’un précédent "bail".
La personne placée en détention provisoire peut interjeter appel, devant un juge de la Crown court (et aussi devant la High court à Londres), d’une décision de refus de mise en liberté prononcée par un magistrate. Depuis 1993, l’accusation peut, également, former un recours devant le juge de la Crown court, à l’encontre d’une décision de mise en liberté. Dans un tel cas, cet appel doit être formé dans les deux heures suivant la décision du magistrate, la personne en détention provisoire étant maintenue en détention pendant ce délai. En cas d’appel de l’accusation, la personne est détenue jusqu’au prononcé de la décision du juge de la Crown court.
Il convient de noter que des appels successifs peuvent être formés, sous réserve qu’ils soient fondés sur des faits nouveaux non encore soumis à l’examen du juge d’appel.

6 - Régime pénitentiaire de la détention avant jugement
Un régime particulier est applicable aux personnes placées en détention provisoire (visites, non port du costume pénal...). Les détenus à titre provisoire sont généralement affectés dans des ailes qui leur sont réservées dans les établissements pénitentiaires.

7 - Imputation du temps passé en détention avant jugement sur le temps
de la condamnation à une peine d’emprisonnement ferme
Oui.

8 - Indemnisation ou autre forme de compensation
Il n’existe pas mesures d’indemnisation ou de compensation.

9 - Eléments statistiques
En octobre 2002, la population pénale totale en Angleterre et au Pays de Galles était de 72.572 personnes (68.145 hommes et 4.427 femmes), soit une augmentation de 7% par rapport à la même époque l’année précédente (68.053).
Le nombre de personnes en détention provisoire (“on remand”) a augmenté de 10% entre octobre 2001 et octobre 2002, passant de 11.760 à 12.975 (11.991 hommes dont 7.310 avant jugement et 4.681 en attente du prononcé de la peine - 984 femmes dont 507 avant jugement et 477 en attente du prononcé de la peine).

Tableau : Eléments statistiques (nombre de personnes en détention provisoire en Angleterre et au Pays de Galles entre 1990 et 2000)

10 - Débats et projets d’aménagements
Même si la question de la détention provisoire est moins l’objet d’un vrai débat d’actualité aujourd’hui, ce sujet est parfois évoqué pour dénoncer des détentions provisoires trop longues. Mais la situation n’est plus celle qu’on connaissait en Angleterre et au Pays de Galles, au cours des années 70-80 (années pendant lesquelles le pourcentage des personnes détenues provisoirement doubla en passant de 11 à environ 22%).
Les réformes législatives intervenues depuis et qui ont limité sa durée ont eu pour effet de restreindre ce débat
Il convient de noter que, parmi les nombreuses réformes législatives en cours et celles annoncées par les pouvoirs publics au Royaume Uni, celles devant se traduire par un usage plus fréquent de la détention provisoire doivent être soulignées, certains mineurs auteurs d’infractions violentes ou à répétition étant tout particulièrement visés par ces nouveaux textes. Dans le même temps, des mesures sont mises en oeuvre pour restreindre, autant que cela est possible, les délais entre la date de commission de l’infraction et celle de la comparution de cette catégorie de jeunes délinquants devant le juge.
En revanche, l’absence d’indemnisation ou de compensation, en matière de détention provisoire alimente actuellement un débat parmi certains juristes en Angleterre et au Pays de Galles.

Les "magistrates"
La plupart des actes de délinquance, donnant lieu à l’exercice de poursuites pénales en Grande-Bretagne, sont jugés par des "magistrates", soit dans les juridictions pour adultes, soit dans les tribunaux pour mineurs ("youth courts"). En effet, 95% environ des affaires pénales sont confiées aux "magistrates", qui représentent la justice dite de "proximité".
Les "magistrates" sont, pour la plupart, des membres de la communauté, nommés pour six ans par le Lord Chancellor. Aucune qualification particulière n’est exigée pour accéder à ces fonctions. Une formation initiale leur est dispensée avant leur entrée en fonction et ils bénéficient d’une formation continue au cours de leurs activités, qu’ils exercent bénévolement. En effet, seuls leurs frais sont remboursés.
Ces Juges non-professionnels ("lay magistrates") sont tenus de siéger, au moins 26 demi-journées par an ( en moyenne 41) su sein de formations composées, généralement, de trois "magistrates" (parfois deux). Du fait de leur non professionnalisme, les "magistrates" sont assistés d’un clerk qualifié en droit ("solicitor" généralement) qui est chargé de les conseiller sur les questions d’ordre juridique.
Des dispositions législatives ("Employment Rights Act 1996) font obligation aux employeurs d’autoriser leurs salariés, qui exercent des fonctions de "justice of the pence", de s’absenter de leurs lieux de travail, de manière ’’raisonnable", eu égard à la durée de leurs missions judiciaires et des effets que cette absence est susceptible d’avoir au sein de l’entreprise.
L’âge limite pour exercer des fonctions de "magistrates" est fixé à 70 ans. Le Lord
Chancellor ne nomme, généralement, pas de "magistrates" ayant moins de 27 ans où plus de 65 ans. Un équilibre est recherché entre le nombre d’hommes et de femmes (dans les affaires familiales ou dans les affaires de mineurs, chaque composition doit comprendre, si possible, un représentant de chaque sexe).
Certains "magistrates" sont cependant des professionnels, appelés "stipendiary magistrates" jusqu’à une date récente, et qui sont désormais des "district judges".