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La condamnation

Recommandation R(92)17 sur la cohérence dans le prononcé des peines

Publication originale : 19 octobre 1992

Dernière modification : 31 août 2016

Texte de l'article :

CONSEIL DE L’EUROPE
COMITÉ DES MINISTRES

RECOMMANDATION N° R (92) 17 DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ETATS MEMBRES RELATIVE À LA COHÉRENCE DANS LE PRONONCÉ DES PEINES

(adoptée par le Comité des Ministres le 19 octobre 1992, lors de la 482e réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Rappelant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ;

Considérant que l’un des principes fondamentaux de la justice exige que des cas analogues soient traités de manière analogue ;

Considérant qu’il y a dans les Etats membres une prise de conscience croissante de disparités injustifiées dans le prononcé des peines, disparités que l’on observe parfois à différents niveaux ;

Considérant que des disparités injustifiées et des sentiments d’injustice pourraient jeter le discrédit sur le système de justice pénale ;

Tenant compte des articles 3, 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ainsi que du principe fondamental de l’indépendance judiciaire ;

Ayant à l’esprit le fait que la décision du tribunal doit toujours être fondée sur les circonstances particulières de l’espèce et la situation personnelle du contrevenant ;

Considérant que la cohérence dans le prononcé des peines ne devrait pas conduire à des condamnations plus sévères ;

Rappelant les conclusions du Huitième Colloque Criminologique tenu à Strasbourg en 1987,

Recommande que les gouvernements des Etats membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou traditions juridiques respectifs en particulier l’indépendance des magistrats, devraient prendre des mesures appropriées pour la promotion des principes et recommandations figurant dans l’Annexe de la présente Recommandation, pour éviter des disparités injustifiées dans le prononcé des peines.

Annexe à la Recommandation N° R (92) 17

A. PRINCIPES DE BASE DU PRONONCE DES PEINES

1. Le législateur, ou d’autres autorités compétentes lorsque les principes constitutionnels et les traditions juridiques le permettent, devraient s’efforcer d’énoncer quels sont les principes de base du prononcé des peines.

2. Si nécessaire, et notamment lorsque des principes de base différents en matière de prononcé des peines sont en contradiction, des indications devraient être données afin d’établir d’éventuelles priorités dans l’application de ces principes.

3. Partout où cela est possible, notamment pour certaines catégories d’infractions ou de délinquants, il faudrait déclarer quel est le principe prioritaire.

4. Quels que soient les principes de base énoncés, il conviendrait d’éviter une disproportion entre la gravité de l’infraction et la peine.

5. Le ou les principes de base du prononcé de la peine devrai(en)t être révisé(s) de temps à autre. La tendance à établir des principes de base uniformes et des priorités au plan européen devrait être encouragée et promue. Les pratiques du prononcé de la peine devraient être réévaluées pour éviter une sévérité excessive.

6. Les principes de base du prononcé de la peine devraient être compatibles avec les politiques criminelles modernes et humaines, en particulier en ce qui concerne la réduction du recours à l’emprisonnement,le recours à des mesures et sanctions dans la communauté, la poursuite d’une politique de décriminalisation, l’utilisation des mesures de diversion telles que la médiation et l’indemnisation des victimes.

7. Aucune discrimination ne devrait être opérée dans le prononcé des peines pour raison de race, couleur, sexe, nationalité, religion, statut social ou conviction politique du délinquant ou de la victime. Des circonstances telles que le chômage, la condition sociale ou culturelle du délinquant ne devraient pas influer sur la peine de façon discriminatoire en défaveur du délinquant.

8. En proposant ou en prononçant des peines, il faudrait tenir compte de l’effet probable de la peine sur la personne du délinquant, en vue d’éviter des souffrances inutiles et pour ne pas empêcher la réinsertion sociale du délinquant.

9. En matière pénale, tout retard devrait être évité : s’il y a eu des retards excessifs dont le prévenu n’est pas responsable et qui ne sont pas imputables à la nature de l’affaire, il conviendrait d’en tenir compte avant le prononcé de peine.

B. STRUCTURE DES PEINES

1. Les peines maximales applicables aux infractions et, le cas échéant, les peines minimales devraient être réexaminées de manière à ce qu’elles forment une structure cohérente traduisant la gravité relative des différents types d’infractions.

2. L’éventail des peines applicables à une infraction ne devrait pas être large au point de ne donner que peu d’indications aux tribunaux sur sa gravité relative. Les Etats devraient donc envisager de classer les infractions selon des degrés de gravité, sous réserve toutefois que les peines minimales n’empêchent pas le tribunal de tenir compte des circonstances particulières de l’espèce.

3. (a) Partout où les constitutions et les traditions du système juridique le permettent, des techniques complémentaires pourraient être envisagées pour accroître la cohérence dans le prononcé des peines.

(b) Deux de ces techniques qui ont été employées en pratique sont les "orientations pour le prononcé des peines" et les "points de départ".

(c) Les orientations pour le prononcé des peines indiquent des fourchettes de peines pour différentes variantes d’une infraction, en fonction de la présence ou de l’absence de divers facteurs aggravants ou atténuants, mais en laissant aux tribunaux la faculté de déroger aux orientations.

(d) Les points de départ indiquent pour différentes variantes d’une infraction une peine de base à partir de laquelle le tribunal peut monter ou descendre de façon à traduire des facteurs aggravants ou atténuants.

4. (a) Notamment pour les infractions fréquentes ou peu graves ou les infractions auxquelles cela convient bien pour d’autres raisons, il conviendrait d’envisager l’adoption d’une certaine forme d’orientations ou de points de départ pour le prononcé des peines comme un pas important vers la cohérence dans le prononcé des peines.

(b) Lorsque la Constitution ou les traditions du système juridique le permettent, un ou plusieurs des moyens suivants pour mettre en oeuvre de telles orientations ou points de départ peuvent être, entre autre, adoptés :

 i. la législation ;
 ii. des décisions de principe rendues par les juridictions supérieures ;
 iii. une commission indépendante ;
 iv. une circulaire ministérielle ;
 v. des directives pour le Parquet.

5. i. Les peines privatives de liberté devraient être considérées comme une sanction à prendre en dernier recours et, par conséquent, ne devraient être infligées que dans les cas où, en tenant dûment compte d’autres circonstances appropriées, la gravité de l’infraction serait de nature à rendre toute autre peine clairement inadéquate. Lorsqu’une peine privative de liberté est considérée comme justifiée (pour ce motif), cette peine ne doit pas être plus longue que ne l’exigent la ou les infractions dont l’intéressé a été reconnu coupable. Des critères devraient être mis au point pour préciser les circonstances qui rendent des infractions particulièrement graves. Lorsque c’est possible, des critères négatifs pour exclure l’emprisonnement devraient être développés, en particulier dans des cas impliquant un faible préjudice financier.

ii. L’adoption de dispositions législatives restreignant le recours aux peines privatives de liberté, conformément au paragraphe i., devrait aussi être envisagée, notamment pour les courtes peines de prison.

 iii. Afin de promouvoir le recours à des peines et mesures non privatives de liberté, et en particulier lorsque de nouvelles lois sont élaborées, le législateur devrait envisager, pour certaines infractions, d’indiquer une peine ou mesure non privative de liberté au lieu de l’emprisonnement comme sanction de référence.

6. Il conviendrait d’envisager de graduer en termes de sévérité relative les peines non privatives de liberté dont on dispose, en tenant compte non seulement des différentes formes de sanctions (par exemple, peine avec sursis, amende) mais aussi des différents degrés de rigueur (par exemple, amendes élevées ou faibles, travail d’intérêt général de longue ou de courte durée) ; cette gradation permettrait aux tribunaux de choisir la peine non privative de liberté qui convient au délinquant et, avec le consentement de celui-ci éventuellement, dans une catégorie de peines traduisant aussi la gravité relative de l’infraction.

7. En cas de manquement aux exigences d’une peine non privative de liberté (sauf en cas d’infraction ultérieure), le contrevenant ne doit être envoyé en prison que si le tribunal est convaincu que toutes les autres méthodes prescrites par la loi ont été employées ou sont inopportunes et si le délinquant a eu la capacité de s’acquitter des obligations qui lui ont été imposées. En ce qui concerne les amendes,

i. par principe, toute amende devrait être à la mesure des moyens du contrevenant à qui elle est infligée ;

ii. l’incarcération devrait être évitée dans la mesure du possible en cas d’incapacité de paiement, étant donné que l’infraction initiale n’a pas été jugée assez grave pour entraîner une peine d’emprisonnement, ou parce qu’une telle peine est inopportune pour d’autres raisons ;

iii. les Etats devraient examiner d’urgence d’autres moyens non privatifs de liberté permettant d’assurer le paiement des amendes, y compris l’aménagement du paiement et la suspension de la condamnation.

8. Dans les Etats où existe la peine de prison avec sursis, il importe de veiller à ce que, lorsqu’un délinquant enfreint les obligations de son sursis, l’application de la peine relève d’une décision de justice permettant une certaine latitude, de telle sorte que la peine puisse être exécutée intégralement ou partiellement ou que l’on ait recours à d’autres possibilités.

C. FACTEURS AGGRAVANTS ET ATTENUANTS

1. Les facteurs pris en considération pour aggraver ou atténuer la peine devraient être compatibles avec le ou les principes de base assignés au prononcé des peines.

2. Les principaux facteurs aggravants et atténuants devraient être précisés par la loi ou la pratique judiciaire. Dans toute la mesure du possible, la loi ou la pratique devrait aussi s’efforcer de définir les facteurs à ne pas considérer comme pertinents s’agissant de certaines infractions.

3. Le prononcé des peines doit toujours reposer sur des faits dûment établis. Lorsqu’un tribunal souhaite considérer comme un facteur aggravant un élément qui ne fait pas partie de la définition du délit, il doit avoir l’intime conviction que le facteur aggravant est établi ; et, avant d’écarter un facteur présenté comme atténuant, il doit avoir la conviction nécessaire que ce facteur n’existe pas.

D. CONDAMNATIONS ANTERIEURES

1. Les condamnations antérieures ne devraient jamais, où que ce soit dans le système de justice pénale, être considérées automatiquement comme un facteur aggravant.

2. Même si l’on peut justifier de tenir compte du casier judiciaire du délinquant dans le cadre des principes de base assignés au prononcé des peines, la peine devrait être proportionnelle à la gravité de l’infraction ou des infractions en cours de jugement.

3. L’incidence des condamnations antérieures devrait dépendre des caractéristiques particulières du casier judiciaire du délinquant. Ainsi, toute incidence des antécédents criminels devrait être réduite ou supprimée dans les cas suivants :

i. il s’est écoulé un laps de temps important entre des infractions antérieures et l’infraction jugée ; ou
ii. l’infraction actuelle est mineure, ou les infractions antérieures étaient mineures ; ou
 iii. le délinquant est encore jeune.

4. Il devrait y avoir une politique cohérente en matière d’abandon de poursuite, de jugements rendus à l’étranger, d’amnistie, de grâce, ou de prescription pour les infractions.

5. Lorsqu’un délinquant est condamné en une seule fois pour plusieurs délits, la gravité de la peine ou de la combinaison de peines devrait tenir compte, dans une certaine mesure, de la pluralité des délits mais tout en restant proportionnée à la gravité globale des faits délictueux considérés.

E. OBLIGATION DE MOTIVER LES PEINES

1. Les tribunaux devraient, en général, motiver concrètement leurs décisions. Ils devraient notamment donner des motifs spécifiques lorsqu’ils prononcent une peine d’emprisonnement. Lorsqu’il existe des orientations ou des points de départ, il est recommandé que les tribunaux motivent leurs décisions lorsqu’elles sortent de la fourchette de peine indiquée.

2. Un "motif" est une motivation qui établit un lien entre la peine en question et l’éventail normal des peines applicables au type de crime ou délit considéré et le(s) but(s) déclaré(s) du prononcé des peines.

F. INTERDICTION DE LA REFORMATIO IN PEJUS

1. Le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus devrait être pris en compte lorsque seul le prévenu fait appel.

2. Dans les Etats où existe une telle voie de recours, le pouvoir du ministère public d’user de son droit de former un appel incident ne devrait pas être utilisé aux fins de remettre en cause le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus et de dissuader, par là même, les délinquants de faire appel.

G. TEMPS PASSE EN DETENTION

En principe, le temps passé en détention dans l’attente du jugement et de l’appel doit être décompté de la peine. Une politique cohérente doit être menée au regard du temps passé en détention à l’étranger.

H. LE ROLE DU PROCUREUR

Les politiques de prononcé de peine et la formation des procureurs devraient veiller à ce que les méthodes employées par ceux-ci favorisent la cohérence globale du prononcé des peines.

I. ETUDES ET INFORMATION EN MATIERE DE PRONONCE DES PEINES

1. Des mesures devraient être prises pour que les magistrats et le public soient régulièrement informés du fonctionnement général du système de justice pénale, notamment de la pratique suivie en matière de prononcé des peines.

2. Pour favoriser la cohérence dans le prononcé des peines, les magistrats devraient avoir la possibilité de participer régulièrement à des séminaires et à des conférences sur le prononcé des peines.

J. STATISTIQUES ET RECHERCHE

1. Des statistiques officielles en matière de prononcé de peine devraient être établies. Celles-ci devraient être compilées de manière instructive aux juges, particulièrement au regard de la graduation des peines pour les délits relativement quantifiables (par exemple, conduite en état d’ivresse, vol à l’étalage).

2. Les données statistiques devraient être compilées de façon à donner des détails suffisants pour mesurer et vérifier l’incohérence du prononcé de la peine, par exemple, en faisant la correspondance entre l’usage de certaines peines et les types de délits.

3. Il conviendrait que des recherches soient menées régulièrement pour mesurer avec précision l’ampleur des variations dans le prononcé des peines en ce qui concerne les infractions réprimées, les personnes condamnées et les procédures employées. Ces recherches devraient porter particulièrement sur l’effet des réformes en matière de prononcé des peines.

4. Le processus décisionnel devrait faire l’objet de recherches quantitatives et qualitatives pour permettre d’établir de quelle manière les tribunaux prennent leurs décisions et comment certains facteurs extérieurs (presse, attitudes du public, contexte local ...) peuvent modifier ce processus.

5. L’idéal serait que des recherches étudient le prononcé des peines dans le cadre procédural plus large de tout l’éventail de décisions du système de justice pénale (par exemple, enquêtes, décisions de poursuites, réponse au fond, et exécution des peines).

K. COOPERATION EUROPEENNE EN CE QUI CONCERNE L’INFORMATION SUR LE PRONONCE DES PEINES

1. Les Etats devraient envisager d’instaurer une méthode d’échange permanent d’informations sur les tendances et les innovations dans le droit, la politique et la pratique en matière de prononcé des peines afin, d’une part, de diffuser des connaissances sur les pratiques d’autres Etats européens en matière de prononcé des peines et, d’autre part, d’informer les Etats sur des méthodes possibles pour améliorer la cohérence dans le prononcé des peines.

2. A cet effet, les Etats devraient encourager la création d’un bulletin européen régulier sur le prononcé des peines, rédigé par une institution adéquate et diffusé auprès des magistrats et d’autres intéressés dans l’Europe au sens large. Les Etats devraient aussi examiner l’opportunité d’assurer un forum pour des réunions de juges et d’autres personnes qui jouent un rôle dans les systèmes de justice pénale des Etats membres, de façon à susciter une plus grande prise de conscience de problèmes communs et de solutions envisageables.

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