Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Recommandations du 1er décembre 2010 relatives aux centres éducatifs fermés de Beauvais, Sainte-Gauburge, Fragny et L’Hôpital-le-Grand,
rendues publiques en application de l’article 10 de la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté
NOR : CPLX1030861X
Les centres éducatifs fermés de Beauvais (Oise), Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe (Orne), Fragny (Saône-et-Loire) et L’Hôpital-le-Grand (Loire), établissements à gestion publique (Beauvais) ou associative, pour les trois autres, et relevant de l’article 33 de l’ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, ont été visités par des contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté respectivement le 7 janvier 2009, les 17 et 18 mars 2009, les 18 et 19 mars 2009 et du 22 au 24 septembre 2009.
Les observations factuelles recueillies au cours de chaque visite ont été communiquées au directeur de chacun de ces centres les 19 mars 2009, 15 mai 2009, 27 avril 2009 et 8 février 2010. Les directions des centres de Beauvais, Fragny et L’Hôpital-le-Grand ont répondu les 8 avril 2009, 13 mai 2009 et 11 mars 2010. Malgré plusieurs rappels, le centre de Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe n’a pas envoyé d’observations.
Le rapport de la visite de Beauvais a été transmis à la garde des sceaux et à la ministre de la santé et des sports le 7 août 2009. La ministre de la justice et des libertés a fait connaître sa réponse le 29 septembre 2009, la ministre de la santé et des sports le 3 décembre 2009. Le rapport relatif au centre de Sainte- Gauburge-Sainte-Colombe a été communiqué à la garde des sceaux, au ministre de l’éducation nationale et à la ministre de la santé et des sports le 17 novembre 2009. La garde des sceaux a répondu le 8 janvier 2010 ; le ministre de l’éducation nationale le 7 janvier 2010. Le rapport du centre de Fragny a été envoyé aux ministres de la justice, de l’éducation nationale et de la santé le 4 août 2009. Des réponses ont été reçues le 29 septembre 2009 de la garde des sceaux et le 7 octobre 2009 du ministre de l’éducation nationale. Enfin, le rapport du centre de L’Hôpital-le-Grand a été transmis à la garde des sceaux le 16 septembre 2010 et ce ministre a répondu le 5 novembre 2010.
A la suite de cette procédure et conformément à l’article 10 de la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté formule les recommandations suivantes :
1. En premier lieu, ce sont des enfants toujours en difficultés, graves et cumulées, qui sont confiés par l’autorité judiciaire à ces centres. Le placement consacre le plus souvent l’échec des autres formules de prise en charge existantes. La loi fait obligation aux centres éducatifs fermés d’assurer un « suivi éducatif ».
Or, au sein de ces centres, une part du personnel est notamment constituée d’éducateurs « faisant fonction », parfois sans compétences particulières, peu ou pas formés à l’encadrement des mineurs. De telles compétences sont pourtant requises pour assurer le succès de la prise en charge ; elles sont d’ailleurs nécessaires en application de textes internationaux, comme l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant et l’article 22.1 des règles minima des Nations unies concernant la justice pour mineurs (règles de Beijing). Cette absence de formation retentit sur les relations qui peuvent s’établir entre adultes et jeunes au sein du centre ; elle est susceptible de faciliter les tensions.
Si l’on doit admettre que le recrutement d’éducateurs, pour des motifs contextuels ou géographiques, est difficile, il n’en demeure pas moins que la formation d’éducateurs compétents est une exigence pour ces centres éducatifs fermés qui doit être satisfaite rapidement, au moins par une formation continue, dont l’existence devrait figurer au cahier des charges de ces établissements, pour ceux des agents qui doivent en ressentir la nécessité. Les efforts de chacun et de véritables réussites individuelles ne peuvent en tenir lieu.
2. Le respect du droit du mineur à participer aux décisions qui lui sont applicables et le respect du droit de ses parents à être consultés sur elles requièrent une grande lisibilité de la manière dont la prise en charge est conçue à son égard.
C’est dans cette intention que les textes applicables prévoient que doit exister un document individuel de prise en charge (DIPC). Un tel document organise le temps éducatif, en fixant des objectifs individualisés propres à conférer un sens au séjour de l’enfant dans l’institution. Outil dynamique, régulièrement actualisé, il doit permettre à l’adulte comme au mineur de dresser ensemble le bilan des évolutions réalisées et de celles restant à accomplir.
Parmi les centres éducatifs fermés ici en cause, l’utilisation d’un tel document est très inégale. La remise d’une copie à l’enfant et à ses parents est donc loin d’être systématique.
En outre, certains centres éducatifs fermés, parmi ceux ici décrits, sont dépourvus de projet de service. Il est, là aussi, paradoxal de demander à des adultes privés d’objectifs communs d’être cohérents à l’égard de mineurs dont l’histoire souvent chaotique les prive de tout repère utile. L’absence de ce projet énonçant des valeurs, des méthodes et une finalité commune a pour effet de décrédibiliser les adultes et d’insécuriser les mineurs. C’est pourquoi un projet de service régulièrement mis à jour dans le cadre d’une démarche participative de l’ensemble des professionnels du centre constitue un axe autour duquel s’organisent la cohérence de la prise en charge et, par conséquent, la vie quotidienne des enfants accueillis.
3. Les contrôleurs ont constaté dans des centres éducatifs fermés le recours abusif, voire usuel, aux moyens de contrainte physique, laquelle est parfois érigée, dans les équipes les moins qualifiées, au rang de pratique éducative.
De manière générale, de grandes incertitudes existent dans la manière de définir la discipline et les moyens de la faire respecter.
On peut penser que la permanence de pratiques très diverses ainsi que le manque de formalisation mentionné ci-dessus sont une conséquence de l’isolement géographique de structures, qui présentent la double caractéristique d’être récentes et de représenter une très grande variété d’organismes gestionnaires. L’absence d’un soutien bien défini au plan national (par exemple, sous la forme d’une cellule d’appui) participe de cet isolement et du caractère très divers de la prise en charge.
Un encadrement national plus effectif, l’organisation régulière de regroupement des professionnels associatifs et publics – au plan local, régional ou central – y compris ceux qui sont effectivement en charge des enfants, permettrait de confronter les pratiques, de regrouper les savoir-faire et les valeurs partagées de la prise en charge éducative en milieu fermé.
La prise en charge éducative « sous contrainte » est en effet loin d’aller de soi. Elle mérite une réflexion approfondie et permanente comme l’élaboration pragmatique d’une « doctrine » susceptible de nourrir la formation initiale et permanente, dont il a été montré ci-dessus la nécessité.
4. Enfin, il existe de grandes variations d’un centre éducatif fermé dans le domaine, d’une part, de la prise en charge des soins somatiques des mineurs, d’autre part, du soin psychiatrique ou de l’assistance psychologique aux enfants, enfin, de leur éducation à la santé. La présence infirmière est très inégale. Les soins somatiques sont assurés fréquemment par un médecin de ville qui se déplace ou bien auprès duquel les mineurs sont amenés mais sans qu’aucune convention ne définisse les droits et obligations respectifs du praticien et du centre éducatif. Si un ou deux psychologues assure(nt) souvent des consultations, les liens sont beaucoup plus difficiles à établir avec des psychiatres et rares sont les conventions qui lient les centres éducatifs fermés à un établissement hospitalier spécialisé, même lorsque la population du centre souffre d’évidentes carences.
S’il est vrai que les enfants accueillis ne posent pas en général de grosses difficultés du point de vue somatique, il n’en va pas de même du point de vue mental. Là encore, une formalisation des concours extérieurs sous forme de conventions passées avec des médecins, des infirmiers ou des établissements de santé est souhaitable. L’administration centrale devrait pouvoir élaborer de telles conventions « modèles » qui devraient permettre une homogénéisation des pratiques. Les agences régionales de santé, sous l’égide du ministre en charge de la santé, devraient en faciliter la signature, leur application étant vérifiée par le comité de pilotage local (dont les réunions sont, dans les cas mentionnés, aléatoires).
Ces recommandations devraient être prises en considération dans l’actualisation du cahier des charges que prépare aujourd’hui le ministère de la justice et des libertés, dont le Contrôleur général a bien relevé qu’elle a été précédée d’une concertation active avec les directeurs des centres éducatifs fermés.
J.-M. DELARUE