Après s’être vu débouté de sa requête tendant à l’annulation de sa vidéosurveillance 24h/24 par le Tribunal Administratif (TA) de Versailles le 15 juillet 2016, Salah Abdeslam a porté sa requête devant le juge des référés du Conseil d’Etat, chargé à son tour d’évaluer sa demande.
L’adoption précipitée d’une loi pour légaliser la situation
Mais depuis la décision du TA de Versailles, un élément a changé puisque le Gouvernement, sans doute conscient de la légèreté de son arrêté, a également pris une loi, le 21 juillet dernier, aux fins de légaliser la vidéosurveillance de personnes détenues dans des circonstances similaires à Salah Abdeslam.
Le Conseil d’Etat, puisqu’il statue en sa qualité de juge des référés conformément à l’article L.521-2 du Code de Justice Administrative, est donc uniquement chargé d’apprécier le caractère manifestement illégal de l’atteinte portée au respect de la vie privée du prévenu au jour où il statue.
En clair, on ne saura donc jamais si le Conseil d’Etat aurait estimé que l’arrêté seul, pouvait constituer une base légale suffisante pour une atteinte d’une telle ampleur et les moyens juridiques dirigés contre l’arrêté sont ici désormais sans effet.
La Compatibilité du dispositif avec la Convention Européenne
Après avoir largement repris les dispositions de la loi du 21 juillet 2016 relative à la prorogation de l’état d’urgence et au renforcement de la lutte antiterroriste, qui introduit un article 58-1 dans la loi pénitentiaire de 2009, le Conseil d’Etat donne ensuite son point de vue concernant la compatibilité de ces mesures avec les dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et notamment l’article 8 sur le respect de la vie privée et familiale.
Ainsi, il indique que « Considérant que les dispositions citées ci-dessus de l’article 58-1 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire, qui réserve la mise en place des systèmes de vidéosurveillance continue aux situations qui l’exigent et la soumet à une procédure contradictoire, prévoit son réexamen régulier assorti d’un contrôle médical, limite notamment sa portée par des dispositifs garantissant l’intimité de la personne et encadre strictement, tant l’usage qui est fait des données ainsi recueillies que les personnes habilitées à en disposer, n’est pas, par elle-même, manifestement incompatible avec les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
Autrement dit, pour le Conseil d’Etat, il y a des garanties suffisantes qui permettent d’estimer que les nouvelles dispositions légales ne sont pas en elles-mêmes incompatibles avec la Convention puisque :
1- l’arrêté (pris en l’espèce le 17 juin), nécessite d’être renouvelé tous les trois mois (donc au plus tard le 17 septembre) ce qui va donc engendrer à chaque fois un réexamen de la situation après avis médical
2- la situation l’exige
3- il y a un encadrement strict de l’accès aux images de vidéosurveillance qui garantit l’intimité de la personne
Sur ces trois points de justification, il est tout de même permis de s’interroger.
Sur le premier point concernant l’arrêté, l’avocate de Salah Abdeslam devant le Conseil d’Etat explique clairement craindre que le Gouvernement ne le renouvèle tous les 3 mois pendant 4 ans jusqu’à la tenue du procès et rien dans les actions récentes du gouvernement ne laissent penser qu’elle ait tort. Alors, peut-on vraiment considérer le réexamen de la mesure tous les trois mois comme une garantie si le renouvellement se fait de manière quasi-automatique et qu’avant même la date butoir, on sache d’avance qu’il sera renouvelé ?
Sur le deuxième point, le Conseil d’Etat se laisse clairement influencé par les récents évènements survenus en France et sans lien direct avec le prévenu, et nous amène, comme dans notre édito, à nous questionner sur la place que de tels éléments peuvent tenir dans le raisonnement du juge. « Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que tant le caractère exceptionnel des faits pour lesquels M. B... est poursuivi, qui ont porté à l’ordre public un trouble d’une particulière gravité, que le contexte actuel de poursuite de ces actes de violence terroriste, font, à la date de la présente décision, obligation à l’administration pénitentiaire de prévenir, avec un niveau de garantie aussi élevé que possible, toute tentative d’évasion ou de suicide de l’intéressé ; qu’eu égard à la forte présomption selon laquelle ce dernier peut bénéficier du soutien d’une organisation terroriste internationale disposant de moyens importants, et alors même qu’il n’aurait pas manifesté à ce jour de tendance suicidaire, sa surveillance très étroite, allant au-delà de son seul placement à l’isolement, revêt ainsi, à la date de la présente décision, un caractère nécessaire. »
Enfin, le Conseil d’Etat part du postulat que l’accès aux images est strictement encadré, ce qui garantit l’intimité du prévenu. Mais alors, si l’accès aux images est si encadré, comment Thierry Solère a-t-il pu y avoir accès lors de sa visite de l’établissement pénitentiaire ? Et bien le Conseil d’Etat, sans occulter complètement ce point, le balaye toutefois d’un revers de main expliquant que « si l’intéressé soutient qu’il est également porté atteinte à sa vie privée par des relations faites, dans la presse, d’observations effectuées à l’aide du dispositif de surveillance installé dans sa cellule, il résulte de l’instruction que cette affirmation, qui met en cause la licéité de l’usage de certaines informations recueillies à l’aide de ce dispositif, ne porte pas sur les caractéristiques de ce dispositif et est, par suite, sans incidence sur la légalité de la mesure de vidéosurveillance. »
En conclusion, et sans même avoir à statuer sur l’urgence, le Conseil d’Etat estime que la mesure dont Salah Abdeslam fait l’objet ne revêt pas le caractère d’une atteinte manifestement illégale à son droit à la vie privée.